Pendant que se déroulaient en France les élections locales, avec leur cortège de promesses et de démagogie, de victoires méritées et de défaites injustes, la crise économique de l’Occident s’est considérablement aggravée ; les grandes puissances financières s’entre-déchirent pour savoir qui va payer le prix de leur inconscience collective, qu’elles finiront naturellement par mettre à la charge des plus pauvres, c’est-à-dire des contribuables et des salariés, en prenant bien soin de protéger leurs fortunes si souvent injustement bâties.

Pendant ce temps, la Russie continue de se redresser à marches forcées, la Chine, tendue vers la réussite de ses Jeux olympiques, maintient une croissance qui dépasse les 10 %, comme le font aussi, démocratiquement, l’Inde et tant d’autres pays jeunes et enthousiastes. Pendant ce temps aussi, en Europe, certains gouvernements modernisent leur système de gouvernance et leur infrastructure économique : l’Allemagne est ainsi devenue la première puissance de l’industrie écologique, la Grande-Bretagne s’est lancée dans un vaste programme de réforme de sa politique urbaine, l’Italie a mené une campagne électorale exemplaire.

En France, alors que tant d’initiatives locales, associatives, scientifiques, sociales et culturelles constituent des avancées mondiales, et que tant d’entreprises sont à la pointe des marchés de la planète, l’Etat continue de prendre tous les prétextes pour ne pas participer à la réforme et pour protéger les lobbies électoralement puissants, au détriment d’une jeunesse oubliée, déclassée, méprisée. La dette publique représente aujourd’hui 66 % du PIB : sans réforme, elle représentera 100 % du PIB en 2015. Comme si l’Etat était résigné, une fois de plus, à attendre qu’une faillite politique, économique ou sociale vienne lui imposer d’agir, comme ce fut le cas en 1946, 1958 et 1981. Pourtant, cette fois, attendre la crise serait suicidaire, car elle ne viendra pas : l’euro et l’Europe nous en protègent, heureusement.

Il faudrait donc avoir le courage de réformer à froid, pour retrouver la croissance. Toutes les circonstances sont réunies pour le permettre : la récession exige d’agir vite ; une période sans élection commence. Et un programme d’action est disponible, celui de la commission que j’ai eu l’honneur de présider.

Ce programme de croissance, établi à la demande du premier ministre et du président de la République (même s’il est en partie différent et parfois même contraire au programme du candidat devenu président), a reçu l’aval unanime des syndicalistes, chefs d’entreprise, universitaires, chercheurs, commerçants, juristes, enseignants, fonctionnaires, consommateurs, médecins, provinciaux, parisiens et étrangers, de toutes obédiences politiques, qui y ont travaillé pendant six mois. Il est le résultat d’une très longue concertation avec l’ensemble des organisations représentantes des diverses facettes de la société française, et d’un très méticuleux travail de mise au point avec toutes les administrations concernées et avec des centaines d’experts, français et étrangers, en particulier ceux mis à notre disposition par l’OCDE.

C’est un programme d’action concret, pratique, non politique, expression d’une priorité dont les politiciens, même en démocratie, ne peuvent être les seuls comptables : celle du long terme, qui peut plus facilement être prise en compte par des gens désintéressés, ne rêvant ni de conserver un poste, ni d’en obtenir un ; un programme d’une urgence extrême, pour s’écarter de la route du déclin ; un programme approuvé publiquement tant par la Commission à Bruxelles que par le FMI à Washington et par toutes les institutions internationales qui s’intéressent à la France.

Pour juger ce rapport, puis-je demander d’abord à tous ceux qui sont concernés de commencer par le lire, d’en comprendre la cohérence et de ne pas le réduire à des propositions qui ne s’y trouvent pas. Il est fondé sur trois idées fortes :

1. La France a les moyens de profiter de la mondialisation, en se focalisant sur l’économie de la connaissance et sur l’ensemble des secteurs qui y concourent, de la maternelle aux laboratoires, des petites entreprises au numérique et aux biotechnologies.

2. Pour que chacun en profite, il faut accroître les mobilités sociales, professionnelles, économiques et géographiques et sécuriser, par une négociation beaucoup plus approfondie entre les partenaires sociaux, ceux qui pourraient avoir à y perdre : chômeurs, jeunes, femmes, petits commerçants, fournisseurs indépendants, minorités diverses.

3. Pour que la société avance d’un même pas, il faut enfin revoir radicalement l’organisation des institutions publiques, de l’Etat à la commune, du département à l’hôpital, de la chambre de commerce à l’office d’HLM : même si cela semble parfois le moins urgent à ceux qui sont les premiers concernés…

Depuis la remise de ce rapport, un très grand nombre de mesures qu’il préconise, et que beaucoup pensaient discutables, sont devenues évidentes : sur le commerce, sur la concurrence, sur l’emploi, sur le numérique, sur l’école primaire, sur l’enseignement supérieur, sur la recherche, sur les PME, sur la négociation sociale, sur les banlieues, sur la gouvernance de l’Etat, sur la lutte contre la spéculation financière.

Le gouvernement a déjà lancé la préparation de très nombreuses décisions que nous avons proposées : 10 des 20 décisions fondamentales que nous avions énoncées et plus de 50 autres décisions sur les 316 que nous proposons ont déjà été officiellement reprises. Et la prochaine loi de modernisation de l’économie devrait en reprendre plus d’une centaine d’autres.

Il faut aller beaucoup plus loin. Pour y aider, les membres de la commission travaillent avec les groupes parlementaires et s’apprêtent à parcourir la France pour débattre de notre diagnostic et de nos propositions avec tous ceux qui voudront bien nous rencontrer. L’urgence est grande : ce qui ne sera pas lancé dans les trois prochains mois devra sans doute attendre la prochaine échéance présidentielle. Dans quel état sera alors la France ?