Il est des arts comme de beaucoup d’autres activités humaines : à certains moments, certains passent de mode, sont oubliés et parfois ne reviennent jamais.

La plupart des formes d’art ont survécu depuis l’antiquité la plus ancienne. Ainsi de la musique, de la danse, de la littérature, de la poésie, du théâtre, du roman. D’autres sont apparus, comme le cinéma, la photographie ; d’autres sont encore en train d’apparaître, avec les technologies numériques.

Certains arts, pourtant, disparaissent ou en tout cas, n’attirent plus les nouvelles générations d’artistes ; et leur public vieillit d’un an tous les ans.

C’est le cas de la peinture figurative, du pastel, de la tapisserie, de la porcelaine, et de tant d’autres formes d’art ; même si de grands chefs d’œuvre sont produits sans cesse, dans ces domaines, quelque part dans le monde. C’est aussi le cas de la musique dite « classique », et plus particulièrement de l’opéra, dont le public vieillit particulièrement vite ; au point qu’on peut se demander si cette forme d’art n’est pas simplement remplacée par la comédie musicale, et si elle mérite encore les énormes subventions qu’elle reçoit encore, et qui ne profitent qu’aux quelques rares privilégiés qui y ont accès.

Il n’empêche, il faut réfléchir à la raison profonde qui éloigne les spectateurs de certains arts. Ce serait la meilleure façon de les faire revivre.

Il me semble que le point commun de tous ces arts qui s’oublient est qu’ils renvoient tous, d’une certaine façon, à l’artisanat. Il faut, en effet, pour pratiquer chacun d’eux, des compétences techniques qui ne s’acquièrent pas sans un grand travail : on peut faire du cinéma, de la peinture abstraite, de la photographie, et bien des arts nouveaux sans des années d’étude. Certains très grands artistes l’ont démontré et le démontrent encore tous les jours. On peut même être un excellent pianiste de jazz sans dix ans de formation.

Mais il est impossible d’être un grand pianiste, violoniste, ou flûtiste, ou danseur classique sans vingt ans de préparation ; et ce ne sont pas les enfants prodiges qu’on voit dans des spectacles télévisés, aussi plaisants soient-ils, qui doivent faire illusion : la plupart de ces adolescents travaillent depuis l’âge de trois ans ; et beaucoup disparaitront dans les oubliettes d’une célébrité trop précoce.

Pour travailler beaucoup, ces temps-ci, avec des musiciens classiques et avec des chanteurs d’opéra, je peux témoigner de l’immensité de leur abnégation dans le travail : qui d’autres qu’eux répètent, seuls, six à dix heures par jour ?

Certes, il existe des tentatives, réussies, pour attirer les jeunes générations à l’opéra (dont « la Fabrique Opéra, dont j’ai parlé ici l’an dernier). Elles démontrent que rien n’est perdu, quand on trouve la bonne voie d’accès vers le cœur des spectateurs. Et cette voie passe, justement, par la retrouvaille du plaisir d’apprendre, de se perfectionner, de travailler dur. Et de ne pas se contenter d’être une étoile filante dans le ciel d’un art de passage.

En cela, les arts oubliés nous renvoient sans doute, au-delà même de l’art, à l’importance de l’effort, de l’entêtement, de la durée, de l’apprentissage, de l’humilité, de l’effort, du sens de la perfection toutes choses que nos sociétés tentent à mettre de côté, tant elles incitent à n’avoir que des attentions brèves, sur des sujets faciles et sans cesse renouvelés. Ces qualités sont pourtant nécessaires à un artiste pour faire une longue carrière. Nécessaires aussi pour tous les humains, pour ne pas gaspiller les talents reçus par chacun en naissant.