En France, deux enfants meurent chaque jour de violences parentales, et au moins 100 000 sont répertoriés par l’administration comme « mis en danger » par la violence d’un de leurs parents. Près de la moitié des Français disent, dans un récent sondage, soupçonner des cas de maltraitance grave dans leur entourage. Enfin, les trois quarts des cas de maltraitance prennent pour prétexte des « punitions éducatives ». Toutes les études ­démontrent que c’est la violence subie dans l’enfance, également répartie dans les divers milieux sociaux, qui est à l’origine de celle à l’égard des autres, qu’elle soit parentale, conjugale ou qu’elle relève du harcèlement.

Cette violence contre l’enfant commence par un geste qu’on croit innocent : la fessée, ou la gifle. Un geste illégal dans 44 pays, et en particulier dans 20 pays de l’Union européenne. En revanche, la fessée reste parfaitement légale en France, où elle est considérée comme une dimension normale de l’éducation, à la discrétion des seuls parents. Non seulement aucun texte spécifique ne l’interdit, mais, malgré toutes les lois contre la maltraitance et malgré la Convention ­internationale des droits de l’enfant de 1989, les tribunaux français refusent de la condamner, en appliquant une jurisprudence de la Cour de ­cassation, confirmée encore en 2014, s’appuyant sur un « droit à la correction » établi par une loi de… 1819 !!!

Le gouvernement actuel, qui refuse toujours de légiférer sur le sujet, soutient que ce dossier est plus éducatif que judiciaire et vient de lancer un vaste effort auprès des caisses d’allocations ­familiales, qui délivrent désormais à chaque naissance un « livret des parents » informant en particulier de l’inanité de la fessée. Mais il refuse de reprendre à son compte une proposition de loi proposant de déclarer illégale toute violence contre les enfants, bien que ce texte soit fort mesuré, puisqu’il ne concerne que le Code civil et n’assortit d’aucune sanction la violation de ­l’interdiction.

Pour moi, inscrire l’interdiction de la fessée dans la loi est la seule façon de donner du poids à une campagne éducative, et de permettre d’expliquer que la fessée ou la gifle ne sont que des signes de la peur des parents, sans aucune portée pédagogique, qui ne font que montrer aux enfants que les personnes qui les aiment le plus au monde peuvent leur faire du mal. Il faudrait sans doute aller plus loin et interdire aussi la violence verbale, c’est-à-dire les insultes adressées aux enfants et les disputes tenues devant les enfants.

La résistance à cette loi est très profonde, car un tel texte dirait très clairement que les parents ne sont ni les maîtres ni les propriétaires des ­enfants. Il montrerait qu’il faut établir non un droit des enfants, mais un droit à l’enfance, c’est-à-dire à la non-violence. Cela pousserait chacun à comprendre que, face à l’énervement qui peut conduire à la violence, il faut apprendre à se maîtriser, à respirer avant de dire du mal ou de lancer une gifle – tel Diderot qui, quand il se fâchait avec quelqu’un, lui écrivait une terrible lettre… qu’il n’envoyait pas.

En ces temps d’instantanéité, de l’écrit et de l’acte, savoir se contrôler est plus essentiel que jamais. Peut-être est-ce même là le vrai propre de l’homme. A ce compte-là, peu d’êtres humains en méritent le nom.