Après deux prises de position courageuses et justifiées, Ségolène Royal a du faire machine arrière, et reconnaitre qu’il est impossible, pour le moment, d’interdire le Round up et le Nutella, deux symboles d’une utilisation à terme suicidaire de produits détournés de la nature, mais dont les impacts économiques sont tels que leur interdiction ne peut s’improviser. Comme celle de tous les autres produits à long terme nocifs, mais dont les hommes, ou la nature, ne peuvent aujourd’hui se passer.

Et pourtant, cet impair d’une ministre courageuse pose une grave question : peut-on continuer longtemps à épuiser ainsi la terre ? Et d’empoisonner les hommes ? Ne serait-il pas plus raisonnable de commencer à penser à la cultiver autrement ? À manger autrement ? La France, nation agricole par excellence, ne devrait-elle pas être à l’avant-garde de ce combat ?

Il est à peu près établi que, dans les années 70, sans les pesticides, le monde aurait été dévasté par la famine ; et qu’en les utilisant de façon massive, en particulier en Inde, on a choisi les hommes contre la nature ; le prix à payer fut énorme : la disparition de milliers d’espèces végétales ; et des conséquences à long terme tragiques pour les hommes eux-mêmes, d’ores et déjà sensibles au Pendjab, où commença la révolution verte.

Le moment est venu de se reposer la question. Toutes les études montrent en effet qu’on a aujourd’hui les moyens de nourrir plus de 10 milliards de personnes, sans utiliser d’avantages de telles techniques, en renonçant à l’agriculture intensive, en confiant aux paysans la propriété de leurs sols , en les laissant utiliser des graines non stériles de variétés endémiques et en les formant à leur meilleur usage.

Chaque jour, de nouvelles découvertes démontrent que l’agriculture intensive n’est plus la panacée. Par exemple, des chercheurs français d’un laboratoire de Montpellier du CNRS viennent de confirmer, expériences à l’appui, que les rendements des cultures sont plus élevés quand sont plantés ensemble différentes plantes au patrimoine génétique diversifié. Autrement dit, la polyculture favorise les rendements, au moins en matière sèche, surtout en période de manque d’eau. L’analyse démontre en effet que les plantes n’ayant pas les mêmes racines n’exploitent pas l’eau et les nutriments à la même profondeur, ce qui leur permet de mieux se partager les ressources du sol. Au moment où les rendements s’épuisent, en raison en particulier du réchauffement climatique, la biodiversité est donc peut-être une partie de la solution.

Certes, bien des choses restent à établir (par exemple, le résultat serait-il le même si on ne considérait que les parties utiles de la plante). Il n’empêche. Il est temps de se poser la question. De passer à autre chose. Le Costa Rica en fournit la preuve. D’autres pays, même l’Inde, viennent de prendre le tournant, massivement.

Il est temps, en particulier, pour l’agriculture française, de prendre les devants d’une évolution inéluctable. Parce que telle est et sera la demande ; et pas seulement pour quelques quartiers urbains. Mais pour tous, équitablement. Parce que les études s’accumulent pour en montrer la validité diététique et la viabilité économique. Sans se contenter de discours plus ou moins hypocrite sur une « agriculture raisonnée », sinon comme une courte étape dans la marche vers une agriculture totalement bio.

Ce serait un formidable projet pour nos agriculteurs, même les plus intensifs, que d’y penser et de le vouloir, avant que les législations le leur imposent : ils ne pourront pas toujours s’y opposer. Cette immense mutation, qui protégera pour des siècles le merveilleux paysage français, aura lieu. Autant la devancer et ne pas la subir.

Elle en annonce une autre, plus importante encore : si la diversité est meilleure que l’unicité pour les espèces végétales, elle l’est tout autant pour l’humanité, qui aura un jour à reconnaitre qu’il lui faut protéger et chérir ses différences et que les hommes ont tous intérêt à vivre ensemble, sans drogue ni adjuvant, pour le meilleur de notre avenir.