En général, quand quelqu’un se dit « ni de droite, ni de gauche », c’est qu’il est de droite. Ou, au plus, du centre, ce qui n’est, le plus souvent, qu’un autre nom de la droite, comme l’a démontré depuis 30 ans la vie politique française.

Mais d’abord, que désigne-t-on, en politique, par la « droite » et la « gauche »? Les deux concepts sont nés en France, de la position topographique des nobles et du Tiers État lors des États Généraux du printemps 1789. Les premiers se sont installés d’autorité à la droite du trône du Roi, comme c’est leur privilège, laissant la gauche au Tiers État et le centre au clergé. Depuis, les deux concepts se sont mondialisés. Avec toujours la même définition, même si elle est à chaque fois adaptée aux circonstances de chaque pays : est de gauche celui qui veut, comme le Tiers État il y a plus de deux siècles, abolir les privilèges. Est de droite celui qui veut, comme les nobles, les conserver.

Mais qu’appelle-t-on « privilège » ? Le mot a évidemment changé de sens avec le temps et le lieu. Ils désignent des avantages sans fondement légitime. Aux Etats-Unis, c’est clairement, et presque uniquement, celui de la richesse excessive ou héritée. En Grande-Bretagne, ceux des propriétaires fonciers et de la finance.

Aujourd’hui, en France, peut-on considérer comme des privilèges les richesses acquises et transmises par héritage? Les avantages fiscaux et les statuts d’élus? Le capital culturel des familles d’enseignants? Les régimes spéciaux de retraites? Les conditions d’accès aux professions réglementées? A mon sens, oui, parce qu’ils ne sont pas également accessibles par tous, même avec les meilleurs efforts.

Les privilèges sont un obstacle au bon fonctionnement de la société. Ils interdisent la mobilité sociale. Ils cantonnent chacun dans la case de sa naissance. Ils n’incitent ni à l’effort, ni à la créativité, qui n’ont de sens que par l’espoir de progrès. Et l’on peut considérer comme de gauche ceux qui veulent remettre en cause ces privilèges et de droite ceux qui veulent les conserver.

En ce sens, depuis 30 ans, la France n’a été gouvernée que par des gens de droite, même s’ils se disaient de gauche, à quelques exceptions près. Nous n’avons même été gouvernés, en fait, que par les droites de la gauche et les droites de la droite. Parce qu’aucun privilège n’a été remis en cause. Parce que personne n’a voulu agir pour le faire. Parce que le programme commun de la gauche et de la droite a été le « non-agir » cher à Lao-Tseu.

Alors, que serait agir, dans la France de 2017?

Pour la gauche de la droite, ce serait abolir tous les privilèges, comme le voulaient déjà certains nobles en 1789. Pour la gauche de la gauche, ce serait les accorder à tous. A mon sens, un programme politique vraiment moderne devrait accorder à tous tous les privilèges, lorsqu’ils sont finançables  (comme l’accès de tous au langage et à la culture, à la sécurité, à la santé, à la formation permanente et au logement) et les abolir lorsqu’il est économiquement impossible de les généraliser. (ainsi du statut des élus, des régimes spéciaux de retraite ou des rentes de toute nature).

Alors, si on pense ainsi, on doit se dire non « ni de droite ni de gauche » mais « de la gauche de la droite et de la gauche de la gauche ». Inutile de dire qu’il faut beaucoup de courage pour le vouloir, de talent pédagogique pour en convaincre. Et, le moment venu, c’est-à-dire, au plus tard en mai 2017, il faudra beaucoup d’abnégation pour le faire.

Le moment de vérité approche. Il est même, à mon sens, dépassé. J’attends donc impatiemment qu’on sorte des concepts et qu’on énonce des programmes.