Chacun cherche, dans les circonstances nouvelles que traverse le monde, à donner sens à sa vie. Et pour cela à se forger un idéal, individuel ou collectif.

On l’a longtemps cherché dans l’immortalité des âmes, qui peut donner sens à la mort; et beaucoup la cherchent encore ainsi, par le truchement des religions. D’autres cherchent aussi aujourd’hui ce même idéal dans la folle espérance de l’immortalité des corps.

D’autres encore se fixent comme idéal la liberté; d’autres encore la solidarité. Ces idéaux, devenus idéologies, ont pris plusieurs noms, dont le libéralisme et la social-démocratie sont les plus récents.

L’un et l’autre aujourd’hui déçoivent : le libéralisme conduit à l’aggravation des inégalités de revenus et de fortune, à l’échelle de la planète, et la social-démocratie ne réussit pas à les réduire, à moins de remettre en cause la liberté…

Plus encore, libéralisme et social-démocratie se sont progressivement réduits à leurs dimensions monétaires : l’un dit « enrichissez vous » et l’autre dit « soyez fiscalement solidaire ».
L’un et l’autre ajoutent : « soyez politiquement libres ».

Or, les revendications des hommes ne se limitent plus à l’argent et au droit de vote.

Chacun des hommes et des femmes disposent aujourd’hui des moyens de connaître la vie des plus heureux; de ceux qui ont pu « devenir soi ».

Chacun peut alors se fixer cet idéal individuel : réussir sa vie.

S’il le fait, hors de toute politique, il peut l’atteindre, mais alors en utilisant, souvent, la concurrence la plus féroce, la déloyauté, et l’exil des plus ambitieux.

Pour que le devenir-soi devienne possible pour tout un peuple, il faut une doctrine qui dépasse le libéralisme et la social-démocratie.

On pourrait lui donner le nom de « potential-democratie ».

Elle aurait comme ambition de fournir à chacun les moyens de réaliser son potentiel. Cela ne se réduit pas à l’égalité des chances, qui ne vise qu’à donner à chacun les moyens de réussir matériellement, dans un univers concurrentiel. L’égalité des chances de tous reconnaît l’inéluctabilité de l’échec de presque tous.

Alors que la potential-democratie entend ne laisser personne au bord de la route, de permettre à chacun de découvrir et vivre son potentiel.

La potential-démocratie suppose donc de comprendre que chacun a intérêt à la réalisation du potentiel des autres, parce que celui-ci n’est pas nécessairement concurrent du sien.
Cela suppose de toutes autres priorités que celle de la social démocratie ou du libéralisme ; de ne pas se contenter de la liberté, de la justice sociale ou de l’équité.

Un programme « potential-democratie » fixerait comme première priorité la sécurité et les moyens du respect de la règle de droit, sans lesquelles aucun devenir-soi n’est possible. Aussi, la potential-démocratie ferait de la défense, de la police et de la justice ses premières priorités. Sans abandonner ces préoccupations aux partis autoritaires.

Sa deuxième priorité porterait sur l’éducation tout au long de la vie, et en particulier sur l’aide aux familles, sur les assistantes maternelles, les crèches, l’orientation, la formation par alternance et la formation permanente.

Sa troisième priorité porterait sur la santé, sans laquelle nul n’a la moindre chance de devenir-soi.

La potential-democratie suppose alors une réorientation radicale du progrès technique.
D’une part, parce que seul un autre numérique permettra de rendre ces services de façon bien plus efficace et moins coûteuse qu’aujourd’hui.

D’autre part, par qu’elle n’est possible que si la robotisation permet de faire disparaître les emplois dégradants et ennuyeux.

Au total, la potential-démocratie dynamiterait les oppositions traditionnelles entre individualisme et collectivisme.

Elle rassemblerait des gens qui pourraient se croire adversaires politiques, et ne marginaliserait, en les rassemblant, que ceux qui pensent que seule vaut l’égalité et ceux qui croient que les différents doivent être chassées : ceux-là ne sont pas si éloignés les uns des autres.