Dans un très grand nombre de pays, le refus des étrangers atteint des niveaux tels qu’il est devenu un des principaux enjeux électoraux.

Partout, on entend reprocher aux étrangers de ne rien faire pour s’intégrer, de ne pas apprendre la langue du pays d’accueil, de vouloir continuer à vivre selon les lois et les coutumes de leur pays d’origine ; et même dans des cas extrêmes, de vouloir imposer leurs coutumes et leurs lois aux citoyens du pays d’accueil, et d’abord aux femmes et à ceux de ces citoyens qui sont de même origine qu’eux. On reproche aussi à ceux d’entre eux qui sont en situation irrégulière d’avoir des activités illégales ou criminelles, ou rémunérées d’une façon illégale.  Certains vont même jusqu’à affirmer, dans de nombreux pays, qu’un étranger d’une autre couleur de peau ou d’une autre religion est, par nature, non intégrable.

D’abord, il est hypocrite en France comme ailleurs, de prétendre s’opposer à leur présence pour des raisons économiques : en fait, ils remplissent des missions que les Français ne voudraient pas occuper (métiers de la propreté ou pénibles, par exemple), à moins d’une augmentation massive de la rémunération ; ou ils occupent des postes pour lesquels on ne dispose pas d’un assez grand nombre de diplômés français (infirmière, médecin, par exemple).

Ensuite, il est tout aussi hypocrite de prétendre que la couleur de peau ou la religion interdirait l’intégration. Parler de la couleur de peau est absurde et intolérable. Et une religion, quelle qu’elle soit, si elle est pratiquée de façon privée, sans prosélytisme et sans vouloir imposer ses normes et ses valeurs contre les lois et les valeurs du pays d’accueil, ne peut être considérée comme contraire aux exigences de l’intégration, à la culture, aux valeurs et au mode de vie national.

De fait, en France, à la différence d’autres pays, qui peuvent servir de référence, on ne fait pas tout ce qu’il faut pour intégrer les étrangers. Ni quand ils sont en situation régulière, ni quand ils sont devenus citoyens, s’ils y parviennent ; et encore moins quand ils sont en situation irrégulière.

En théorie, en France, la politique d’intégration est pourtant en apparence très solide : l’étranger doit suivre un parcours civique et linguistique complet, avec, pour la naturalisation, des exigences considérables : un certificat de pratique de la langue (B1 CECR, oral et écrit), la signature d’un engagement à respecter les lois, les valeurs de la République, la laïcité et l’égalité hommes-femmes. En particulier, le modèle français a, en théorie, une grande vertu : il refuse le multiculturalisme, qui peut devenir l’ennemi de la laïcité, de l’antiracisme et des droits des femmes.

Pour autant, cette politique n’est que formelle : il n’y a pas assez de cours de FLE (français langue étrangère) disponibles ; on ne vérifie en général la connaissance de la langue française qu’au moment d’une demande de naturalisation ; l’accès au marché du travail est limité par la non-reconnaissance de nombreux diplômes étrangers et par des discriminations à l’embauche, dont souffrent souvent même les meilleurs. De plus, le parcours d’intégration est d’une rare complexité en raison de la multiplicité d’acteurs. Enfin, lorsqu’il y a un suivi individuel, il ne concerne en général que la situation administrative, pas l’insertion professionnelle, culturelle et sociale.

De plus, on ne fait pas grand-chose, en France, pour permettre une participation citoyenne des étrangers : ils n’ont aucun droit de participer aux élections locales, s’ils ne sont pas européens, contrairement à plusieurs autres pays de l’Union. Et l’accès à la nationalité y est relativement long.

Par ailleurs, existent deux autres lacunes majeures :

D’une part, on ne fait absolument rien pour intégrer les étrangers en situation irrégulière. Et là encore, c’est une hypocrisie. Car, de trois choses l’une : soit on est capable de les renvoyer immédiatement chez eux, et on doit le faire. Soit on est capable de distinguer très vite ceux qu’on veut régulariser, et c’est mieux encore ; soit encore, faute de moyens de faire l’un ou l’autre, on ne fait rien, ce qui est le pire. Les étrangers en situation irrégulière n’ont alors en France aucun droit, sauf celui d’être soignés, parce que c’est l’intérêt des autres habitants du pays ; ils n’ont, en France, presque pas le droit de travailler, à la différence de l’Allemagne : comment veut-on alors qu’ils trouvent de quoi vivre, sinon par des emplois illégaux voire criminels ?  Ils n’ont pas non plus le droit ni les moyens ni l’obligation de suivre des cours de français, ou d’étudier les institutions et les valeurs françaises. Comment peut-on espérer qu’ils se conforment à nos règles, à notre droit, et en particulier à celles de la laïcité, de la tolérance des minorités, du refus de la radicalisation, de l’antiracisme et de la lutte contre l’antisémitisme ?

D’autre part, une fois l’étranger devenu français, on ne fait plus aucun suivi de son intégration ; alors qu’on a vu bien des dérives apparaître à la deuxième, et même troisième génération, en particulier chez les jeunes adultes masculins, rejetés par leurs concitoyens, et à qui on ne propose pas beaucoup d’autres modèles de réussite que footballeur ou influenceur. La radicalisation est une menace de tous les instants. Elle concerne tout le monde, quel que soit son âge, son sexe et son statut. On ne lutte pas contre elle par le rejet. L’intégration aux valeurs de la République ne doit jamais être tenue pour acquise. Pour personne.

Là encore, certains exemples étrangers mériteraient d’être suivis : la Suède, la Finlande et la Norvège pour l’accès à l’emploi, aux services publics et aux droits civiques ; le Canada pour la facilité d’immigration qualifiée, les droits civiques et la protection contre la discrimination ; le Portugal, pour toutes les politiques d’intégration.

Dans l’intérêt même du pays d’accueil, tout étranger, même en situation illégale, doit disposer de cours de langue et d’intégration civique et doit avoir le droit de travailler. S’il est ensuite régularisé, il doit avoir les mêmes moyens que les autres de devenir un jour un bon citoyen et le rester sur plusieurs générations. Et s’il est expulsé, peut-être ne gardera-t-il pas un trop mauvais souvenir de son séjour dans notre pays.

 

Image : Hospitalité aux étrangers

Gustave Van de Woestyne