Une fois passée cette canicule de juin 2025, d’autres priorités viendront : partout dans le monde, et en particulier en Europe et en France, on verra resurgir d’autres urgences : le pouvoir d’achat, les retraites, la guerre, l’emploi, l’éducation, la santé, la dette publique. Partout, on oubliera pour un moment les terribles nuits passées dans des appartements suffocants, les journées de travail impossibles dans des ateliers inadaptés, des bureaux impraticables, des écoles archaïques, et pire encore dans des prisons bondées. On oubliera tout ça, jusqu’à ce que la prochaine canicule nous rappelle que le monde s’il reste tel qu’il est, va devenir proprement invivable.
Invivable, parce que nous faisons la folie de produire toujours plus de gaz à effet de serre qui dérèglent le climat. Invivable aussi, parce que nous ne faisons rien pour adapter nos modes de vie à ce climat.
Va-t-on continuer comme cela longtemps ? Va-t-on durablement continuer à ne rien faire ? Ne va-t-on pas enfin comprendre que, dans l’économie de guerre dans laquelle nous devons nous placer d’urgence, il n’y a pas seulement l’exigence de la sécurité civile et militaire. Il y a aussi celle de l’éducation, de la santé, de la modification des modes de vie et du développement des technologies qui permettront de répondre à ces enjeux. Il y a en particulier l’urgence de réduire massivement les émissions de gaz à effet de serre et d’organisation notre adaptation au nouveau climat.
L’homme, se réinvente bien moins facilement que la nature. Il ne sait pas aussi bien qu’elle tire parti de ce qui le menace. Il n’est pas, selon le concept créé par Nassim Taleb, « antifragile ». Il est urgent qu’il le devienne.
En particulier, s’adapter au nouveau climat sera nécessaire. Cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à lutter contre ses dérèglements. Cela veut dire prendre acte d’une dégradation déjà engagée et irréversible, et tout faire pour ne pas avoir à en payer le prix. Ce n’est pas impossible.
Aujourd’hui, plus d’une moitié de l’humanité vit déjà avec un climat identique ou pire que celui qui s’annonce pour l’Europe en 2100. Dans ces régions, certains humains, (comme ceux qui vivent dans des bidonvilles de tôle ondulée dans les mégalopoles d’Afrique et du sous-continent indien), vivent en enfer. D’autres, dans ces mêmes régions, ont mis au point des façons de s’adapter, depuis des siècles, ou au moins des décennies, à un climat objectivement insupportable. En construisant leurs maisons dans des matériaux absorbant ou repoussant la chaleur, en privilégiant le blanchiment des toits, en organisant une circulation intelligente de l’air, en installant leurs villes près des rivières ou des fleuves et à l’ombre de grands arbres. Et plus généralement en imitant la nature qui sait si bien s’adapter à tout ce qui peut la menacer pour se réinventer.
Il est urgent, partout dans le monde, de tirer parti des meilleures pratiques urbaines et sociales des pays tropicaux pour transformer radicalement l’urbanisme et le mode de vie, dans les villes du monde entier, et en particulier du nord.
D’innombrables architectes et urbanistes indiens et africains proposent en effet des solutions exceptionnelles et trop méprisées dans les pays du Nord. Par exemple, l’école de Gando au Burkina Faso, conçue par l’architecte Diébédo Francis Kéré, utilise des murs en terre crue pour réguler la température intérieure ; un toit surélevé permet une ventilation naturelle efficace, maintenant les salles fraîches sans climatisation. L’écoquartier Sébénikoro 2000 à Bamako au Mali combine densité et écologie, avec des ruelles ombragées, des maisons en matériaux locaux et une gestion durable des ressources. Le quartier de Ksar Tafilelt à Ghardaïa aux portes du Sahara algérien, utilise la pierre, la chaux et le plâtre pour leur inertie thermique, avec des ruelles étroites et ombragées qui favorisent la fraîcheur ; le recyclage des eaux usées y permet l’irrigation des espaces verts. L’écolodge de Tambass en Mauritanie fait de bâtiments en terre crue et en bois sur pilotis, avec des toits en typha (plante des marais qu’on nomme aussi massette ou sesque), s’intègre harmonieusement dans le paysage sahélien et favorise la permaculture et la gestion durable de l’eau ; l’école Rajkumari Ratnavati à Jaisalmer dans le Rajasthan à la frontière du Pakistan construite en grès jaune, avec des murs épais et des revêtements intérieurs en chaux pour réguler la température ; elle est équipée de panneaux solaires et offre une oasis de fraîcheur dans le désert du Thar. Le bâtiment administratif Indira Paryavaran Bhawan à New Delhi, premier bâtiment gouvernemental en Inde à être « net zéro énergie », utilise des matériaux isolants, une ventilation naturelle, des panneaux solaires et un système géothermique pour maintenir une température intérieure confortable. Plus généralement, dans toute l’Inde rurale, on utilise la boue pour construire des maisons durables et thermiquement efficaces.
En Europe, certains projets, trop rares, l’ont compris et s’en inspirent. En particulier en Espagne : à Barcelone, le projet «Adaptemos las escuelas al cambio climático» transforme les écoles en espaces climatiquement résilients en y incorporant de la végétation, des zones ombragées et des points d’eau.
On devra faire bien plus encore. Il ne faudra pas se contenter de climatiser quelques salles de classe et ateliers. Il faut tout repenser, avec humilité, en s’inspirant de ce qui se fait au Sud, en remplaçant partout, à marche forcée, les sols bétonnés par des sols naturels, en redonnant vie aux sous-bois, aux bocages, à l’agriculture régénérative, à l’irrigation naturelle, à la circulation de l’eau en ville en construisant des maisons dans des matières naturelles protégeant de la chaleur. Et même en déménageant des villes près des rivières et des lacs.
Si, pour une fois, l’orgueilleux occident pouvait faire ainsi preuve d’humilité, il aurait tout à y gagner.
Image : Ksar Tafilelt, Ghardaïa
Camille Gillet