Pour avoir, depuis des années, dit et répété que le maître-mot, dans la vie privée comme dans la vie économique et politique devrait être : « mobilisation générale », et pour avoir si souvent dénoncé les vacances mentales dans lesquelles se complaisent les citoyens de l’Occident, et plus particulièrement les Français, je veux redire ici l’importance de prendre conscience des dangers qui nous menacent, et l’urgence de se placer en économie de guerre. Alors que tout est fait pour nous en détourner.
Ce qui nous menace est plus qu’évident. Sur les terrains écologiques et militaires, au moins. Et pas seulement.
Les manifestations, déjà fort concrètes, des dérèglements climatiques, l’effondrement en marche de la biodiversité, les ouragans, les inondations, la montée des niveaux des océans, devraient depuis longtemps nous avoir fait prendre des mesures radicales de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et de régénération les sols. Pourtant, on est très loin de ce qu’il faudrait faire. Pire encore, on recule ; les investissements environnementaux ne sont plus à la mode ; on ne renonce presque plus nulle part à l’utilisation du charbon et on fore de plus en plus pour déterrer de nouvelles réserves d’énergie fossile. De plus, partout, et en France en particulier, on revient en arrière sur les lois de protection de la biodiversité et des sols agricoles. Folies. Nous ne sommes pas mobilisés à la hauteur des enjeux.
Par ailleurs, l’évidence des guerres est là, plus que jamais. Et personne ne veut la voir, sauf dans les pays directement confrontés aux conflits et dans leur voisinage direct : eux sont mobilisés. Ailleurs, rien ne se fait ; aux Etats-Unis, par isolationnisme, on s’arme tout en retirant son soutien aux alliés. En Europe, on ne s’arme pas, par un pacifisme béat masqué par des prétextes écologiques, ou, quand on le fait, c’est encore, pour l’essentiel, en achetant des armes américaines qu’on ne pourra utiliser qu’avec l’accord de Washington.
Les menaces écologiques, comme les conflits, entraînent des risques voisins et très particuliers, qu’on n’analyse pas assez :
D’abord des risques de pénurie, réels ou imaginaires ; et ils sont très nombreux, en France comme ailleurs. On pourrait manquer de main d’œuvre, (réquisitionnée), de financement (réservé), d’eau, de nourriture, de chlore, de terres rares, de médicaments, de certains produits végétaux et de bien d’autres choses. Si on ne s’y prépare pas, la pénurie entraîne le rationnement, avec son cortège de paniques et de corruptions, pièges mortels pour nos démocraties. Et on peut prévoir que nos ennemis provoqueront de telles pénuries ; ou au moins des paniques par des fausses nouvelles. S’enfermer dans un réduit personnel, avec ses réserves personnelles de nourriture, ne suffira pas.
Ensuite des risques de dissolution de l’unité nationale, par un discrédit qui viendrait frapper les gouvernements. Cela aussi est en marche.
Partout, en Occident, on ne voit pas voir monter ces dangers. On a une vision irénique de l’Histoire.
D’abord, parce que l’Europe n’a jamais connu de catastrophe écologique majeure et n’a pas connu de guerre sur son territoire depuis 80 ans ; et les Etats Unis depuis bien plus longtemps encore. Ensuite, parce que les Français, comme les Américains, n’ont jamais manqué de nourriture, même aux heures les plus sombres de leur Histoire. Et enfin parce que les Occidentaux se sont concentrés depuis longtemps sur l’obsession joyeuse de la consommation, de la distraction, des loisirs, de la réduction du temps de travail, et d’une longue retraite.
Avec l’ajout, des réseaux sociaux et des jeux vidéo, tout est fait pour déréaliser le monde, pour oublier que l’Histoire est tragique, et qu’elle nous enseigne que les peuples vieux, riches et paresseux sont des proies faciles pour les peuples jeunes, pauvres et travailleurs.
Que faire ?
D’abord, prendre conscience de ces deux enjeux. Et ce n’est pas évident, quand tout le monde fait tout pour en parler comme d’un spectacle et non comme d’une menace personnelle et existentielle.
Ensuite, sortir des vacances mentales dans lesquels nous nous complaisons, en particulier en France ; en ne parlant que des sujets de temps de paix, comme l’âge de la retraite, au moment même où, en réalité, la durée du travail devrait être rallongée, pour se préparer à ce qui vient.
Ensuite encore, comprendre que les enjeux de l’environnement et de la guerre ne sont pas contradictoires. Certes, les industries de la défense et de la sécurité utilisent pour le moment des énergies fossiles. Pour autant, ne pas les financer, sous des prétextes écologiques, comme beaucoup sont tentés de le faire, serait camoufler un pacifisme malheureusement mal à propos : on peut réduire l’usage des énergies fossiles ailleurs, et développer ce qu’on pourra appeler des « armements verts », qui sont d’ailleurs les mieux adaptés aux combats d’aujourd’hui comme les drones ou les armes numériques. Plus généralement, cela signifie donner la priorité à tous les secteurs de « l’économie de la vie », dont font partie autant les industries utilisant des énergies durables que celles de la défense.
Enfin, là où, comme en France, le gouvernement, le Parlement, et l’Etat tout entier sont en vacances mentales, et où personne au plus haut niveau de l’Etat n’est audible quand il sonne le tocsin, c’est aux enseignants, aux journalistes, à la société civile, aux entreprises, aux banques, aux citoyens, aux collectivités locales, aux intellectuels, aux artistes, de réagir.
La mobilisation générale pour une économie de la défense, au service de l’économie de la vie, est urgente. D’elle dépend la survie de nos civilisations.