Une des choses qui m’a le plus frappé en lisant l’excellent livre, « La Meute », qui décrit méticuleusement la secte organisée autour de Jean-Luc Mélenchon, c’est l’absence totale d’intérêt de sa part, et de celle de ses lieutenants, pour les programmes politiques. Certes, et je l’en ai souvent crédité, le programme de LFI existe ; et, aussi loin soit -il parfois de mes propres convictions, il a le mérite d’être très approfondi sur de nombreux sujets, dont peu d’autres partis parlent, comme l’économie de la mer ou la francophonie. Pourtant, en lisant ce livre, on découvre que les dirigeants de ce parti ont, en réalité, délégué le travail programmatique à des petites mains, qui ne font pas partie des organes dirigeants ; et que jamais, à aucun moment, les divergences innombrables, et les discussions sans fin entre eux, n’ont porté sur des questions programmatiques, ni même idéologiques, mais toujours sur la seule question qui semble obséder Mélenchon, et que les autres semblent redouter : comment s’assurer de l’allégeance de chacun au chef ?

Ce n’est pas mieux ailleurs : au Parti socialiste, les « contributions » qui s’affrontent pour le prochain congrès, ne font que promettre que « on » devrait au plus tôt s’atteler à rédiger un programme présidentiel, que « on » devrait développer l’industrie, l’agriculture et les services, et protéger le modèle social. Sans rien chiffrer ; et pas un mot, dans aucune de ses contributions, sur l’immigration. Tandis qu’à droite, au contraire, les esquisses de réforme, lorsqu’elles existent, ne parlent que des immigrés et des diverses façons de s’en débarrasser. Personne, ni à gauche ni à droite, n’évalue les coûts et les conséquences des promesses qu’ils lancent à la volée. Personne, ni à gauche ni à droite, n’affiche un programme présidentiel cohérent. Personne, ni à gauche ni à droite, n’énonce même un diagnostic approfondi de la société française. Encore moins une vision de la dynamique historique, des enjeux nouveaux, de l’écologie et de la technologie, de la place de la France dans l’Europe et le monde de demain. Et ceux des partis qui prétendent qu’ils y travaillent, mais qu’ils ne le dévoileront qu’au dernier moment mentent, ou méprisent les électeurs, qui ont envie de débattre longuement dès maintenant des diverses options qui leur seront offertes.

A deux ans des prochaines élections présidentielles, nous sommes donc encore dans un théâtre d’ombres. Et il est vraisemblable qu’on va y rester. Et c’est dramatique.

Les partis ne sont pas les seuls coupables. Le sont aussi les commentateurs politiques qui ne s’intéressent qu’à savoir qui sera candidat, sans jamais avoir la curiosité de demander à ceux qui se précipitent pour ne pas l’exclure, ou pour s’affirmer comme tel, s’ils ont établi un diagnostic de l’état du pays ; s’ils ont une idée de là où ils voudraient qu’il soit dans 20 ans ; s’ils ont un programme, et encore moins un chiffrage des conséquences de ce programme.

Encore une fois, comme à chaque fois depuis l’élection présidentielle de 1995, sinon même celle de 1988, les électeurs n’auront le choix qu’entre des personnes, affublés de programmes improvisés à la dernière minute, sans aucune vision ni ambition crédible. La droite extrême s’arc-boutera sur son refus de l’immigration et de la réforme des retraites. La droite se joindra à l’extrême droite sur l’immigration et parlera d’Europe. La gauche sociale-démocrate parlera de justice fiscale et d’environnement. Pendant que la gauche extrême ne parlera que d’impôts supplémentaires et de son refus de l’islamophobie.

Un candidat élu sur l’une ou l’autre de ces bases ne fera rien d’utile ; car l’Histoire nous apprend qu’un président de la République française ne peut agir sérieusement que dans les trois premiers mois de son mandat, ce qui suppose qu’il arrive au pouvoir avec un programme sérieux complet et détaillé.

Tout cela tient à une conviction très profonde de presque toutes les soi-disant élites françaises, parisiennes et provinciales : le pays ne va pas si mal ; il est très riche, et rien ne peut l’atteindre gravement ; les politiques ne doivent pas en faire trop, car ils ne peuvent que l’abîmer ; le temps n’est plus aux utopies ni aux programmes, mais aux réactions instinctives d’un chef face à des événements de moins en moins prévisibles.

La réalité est tout autre : Le pays va très mal. Plus mal que tous les autres pays de l’Union européenne. Pour la première fois depuis des siècles, le niveau de vie des Italiens, en parité de pouvoir d’achat, est devenu supérieur à celui des Français. Les Espagnols, les Portugais, les Grecs, ont moins de déficits que les Français, qui ne travaillent pas assez. Les inégalités se creusent.  L’heure est à la mobilisation générale pour l’économie de la vie.

Si on n’entreprend rien de radical, les jeunes Français vivront bientôt plus mal que leurs ainés. Le niveau de vie général du pays va baisser.   La France ne pourra pas maintenir son modèle social. Ni même sa démocratie.

Tout cela par la collusion délétère d’hommes politiques cyniques, de médias à la recherche d’audience, et de citoyens de plus en plus individualistes, parce que déçus par trente ans d’inaction.

Il devient très urgent de s’en rendre compte. Et d’agir. Chaque parti devrait entreprendre pour cela au plus vite quatre travaux urgents :

  1. Un diagnostic sans concession, et aussi objectif que possible, de la situation dramatique du pays. Les sources ne manquent pas pour le faire, avec les travaux du FMI, de l’OCDE, de l’UNESCO, de multiples universitaires et centres de recherche du monde entier. Ce diagnostic devrait pouvoir être commun.
  2. Une description de la France souhaitée en 2040.
  3. Un programme d’action 2027-2032, pour mettre la France en situation d’atteindre cet idéal.
  4. Un chiffrage de ce programme.

On réalisera alors l’immensité des réformes nécessaires pour éviter le pire.

Une fois cela disponible, les Français pourront commencer à débattre sérieusement et choisir le ou la personne la mieux placée pour mettre en œuvre ce programme.

Naturellement, cela ne sera vraisemblablement pas fait, sinon par quelque mouvement transpartisans de bonne volonté (dont www.francepositive.fr).

Et pourtant, on peut, on doit, encore rêver.