Parmi les innombrables choses qu’on peut reprocher à la classe dirigeante française, depuis dix ans au moins, sinon beaucoup plus, c’est de ne pas avoir été capable d’expliquer clairement les enjeux au pays, de faire de la pédagogie, d’expliquer les contraintes et la réalité des choix démocratiquement possibles. Cette faillite n’est pas propre à la classe politique. Elle vise aussi de très nombreux enseignants, journalistes, chefs d’entreprise, syndicalistes et tous ceux qui informent l’opinion et lui proposent des solutions.
Faute de l’avoir fait, d’une façon calme, posée et consensuelle, on se retrouve maintenant dans des débats lunaires sur des propositions absurdes, incohérentes, infinançables, venues de tous les bancs de l’Assemblée, de tous les syndicats et de professeurs supposés compétents. Dans une surenchère verbale suicidaire et assassine, dans laquelle les faits n’ont pas leur place.
Et pourtant, chacun devrait connaître au moins les vingt faits suivants. Des faits incontournables, indiscutables, qui constituent autant de contraintes absolues et de priorités essentielles de l’action publique.
Qu’on ne se trompe pas. Ce qui suit sont des faits. Pas des opinions. Et c’est à partir d’eux qu’on peut et qu’on doit ensuite se faire un avis, lancer des propositions et agir. Les voici :
1. Au 1er janvier 2025, la population totale de la France était estimée à 68,6 millions d’habitants, dont environ 5 étaient des étrangers en situation régulière et un peu moins d’un million en situation irrégulière.
2. La population française ne croît presque plus et son âge médian en 2025 est de 42,8 ans. En 2024, l’espérance de vie à la naissance est de 80,0 ans pour les hommes et 85,6 ans pour les femmes.
3. À 65 ans, les hommes peuvent espérer vivre 10,5 ans sans incapacité et les femmes 12 ans.
4. La part dans le PIB français des dépenses de prévention en matière de santé diminue depuis au moins 2023 et elle est inférieure à celles de nombreux autres pays développés comme le Canada.
5. En 2040, la population française ne dépassera vraisemblablement pas 71 millions et l’âge médian sera supérieur à 47 ans. Le vieillissement s’expliquera par le recul de la natalité et de l’immigration.
6. Le vieillissement pèsera sur la croissance : en 2040, le PIB français sera inférieur d’environ 2% à ce qu’il aurait été si la structure démographique du pays était restée celle de 2018.
7. En 2025, les dépenses publiques représentent 57% du PIB français, soit le ratio le plus élevé du monde, avec l’Autriche et le Danemark (en excluant l’Ukraine, où il dépasse les 75 %).
8. En 2040, à politique inchangée, les dépenses publiques françaises augmenteront de 2 points pour les retraites et la santé et plus encore pour les dépenses militaires.
9. Au rythme actuel, les dépenses publiques et privées de protection sociale françaises continueront de croître plus vite que la richesse nationale ; en 2040, 34 à 36% du PIB sera consacré à la protection sociale (contre environ 31 % en 2025).
10. En 2025, le taux des prélèvements obligatoires (impôts + cotisations) en France est d’environ 46% du PIB, soit le taux le plus élevé des pays de l’OCDE.
11. La France a le taux marginal d’impôt sur le revenu le plus élevé du monde (55 %), à égalité avec la Finlande, le Danemark et l’Autriche.
12. Fin 2025, la dette publique française dépassera 3 400 milliards d’euros, soit plus de 115 % du PIB. Auquel il faut ajouter 260 milliards d’endettement global lié aux systèmes de protection sociale.
13. En 2040, au rythme actuel, la dette publique française atteindra au moins 6 150 milliards d’euros, soit 121 % du PIB ; et si l’environnement se dégrade, elle dépassera les 8 000 milliards d’euros, soit 140% du PIB. Elle sera, bien avant, infinançable.
14. Dans le classement PISA de l’éducation, par l’OCDE, la France vient 26ᵉ en mathématiques et 29ᵉ en compréhension de l’écrit.
15. Le salaire brut moyen d’un enseignant français est 50 % inférieur à celui d’un enseignant allemand (30 000 euros en France contre 45 000 en Allemagne)
16. On ne délivre chaque année que 35 000 diplômes d’ingénieur en France, contre 110 000 en Allemagne, dont la population n’est que d’un tiers plus élevée.
17. Pour la première fois dans son histoire, la France importe désormais plus de fruits et légumes qu’elle n’en exporte. Et c’est tragique.
18. La France n’est qu’au sixième rang de l’Union européenne en matière d’égalité des genres.
19. La mobilité sociale, quelle que soit la façon dont on la mesure, recule en France, à la différence de ce qui se passe dans de nombreux autres pays européens : En France, il faut en moyenne six générations pour qu’un enfant issu des 10 % les plus pauvres atteigne le revenu moyen, contre 2 à 3 générations dans les pays nordiques.
20. Le coût annuel des sinistres climatiques pour les assureurs français est passé de 1,5 milliard € par an à 6 milliards € par an et cela va sans doute doubler dans les années à venir.

On ne trouve ces faits relayés dans presque aucun des discours d’élus, de droite ou de gauche, d’extrême gauche ou d’extrême droite. Encore moins dans leurs programmes, qui, de toute façon, n’existent pas.
Quand on sait tout cela, quand on l’a vraiment intériorisé, on comprend à la fois les contraintes et les urgences ; on réalise qu’on ne peut pas demander beaucoup plus aux contribuables français, et qu’on doit faire beaucoup mieux avec moins d’argent confié aux entités publiques. On comprend que la priorité, celle qui devrait être partagée par tous, devrait être la recherche de l’efficacité, l’élimination des doubles emplois et des gaspillages, la chasse aux passagers clandestins, si nombreux et si nuisibles à la réussite de tous, l’amélioration du fonctionnement démocratique et de la justice sociale, sans dépenser un euro de plus.
Si au contraire, on continue à vivre un déni de la réalité, si on ne prend pas conscience qu’on fonce dans le mur à grande vitesse, si on croit que faire confiance à l’un ou l’autre des deux extrêmes résoudra le problème, sous prétexte qu’ils n’ont jamais gouverné, on sera tous très déçus. Et le réveil sera très dur.
Tout cela constitue un chantier si gigantesque qu’il devrait occuper désormais tous les esprits. En particulier, l’esprit de tous ceux qui, au Parlement, débattent aujourd’hui du prochain budget.

 

Image : Alfred-Henri Bramtot, Le suffrage universel, 1891, mairie des Lilas.