La frilosité des dirigeants politiques européens face à la violence des attaques américaines est inacceptable. Au moment où une menace implicite depuis des décennies (les États-Unis ne veulent plus se charger de la défense de leurs alliés européens) devient explicite, les dirigeants européens font comme s’ils n’avaient pas entendu ces discours de rejet et de mépris venus d’outre-Atlantique.

Les Européens devraient, au contraire, être fiers de ce qu’ils sont, comprendre qu’ils sont bien meilleurs que les Américains dans de très nombreux domaines et qu’ils peuvent se doter rapidement d’une défense autonome. En réalité, les Américains ne veulent pas que les Européens deviennent autonomes et unis : ils les veulent divisés, populistes, soumis, avec des marchés juxtaposés ouverts aux services de leurs entreprises digitales et à leurs armements.

Or, nous, Européens, nous avons tous les moyens de ne pas céder à ce chantage : dans la plupart des domaines essentiels à sa survie, l’Europe est plus puissante que les États-Unis. Nous avons de bien meilleurs systèmes de santé qu’eux, la liberté de la presse est bien plus grande en Europe, nos systèmes d’éducation primaire et secondaire sont bien meilleurs que ceux des États-Unis, nos systèmes politiques sont beaucoup plus démocratiques que la ploutocratie qui triomphe aujourd’hui à Washington et nous ne faisons pas plus mal qu’eux en matière de défense de l’identité culturelle. Mais aussi parce que, en matière d’industrie et de défense (domaines dans lesquels nous acceptons trop souvent de croire que les Américains nous écrasent), la réalité n’est plus du tout à leur avantage.

L’Europe maîtrise mieux que les États-Unis la propulsion aérienne, les matériaux composites et la chaîne logistique aéroportée ; Airbus domine le marché mondial des avions commerciaux et dépasse Boeing en commandes et livraisons. L’Europe est bien plus exportatrice que les États-Unis en agro-alimentaire. En matière automobile, les États-Unis n’ont qu’une entreprise compétitive (Tesla) quand l’Europe constitue encore le premier exportateur automobile du monde, menacée par les seuls constructeurs asiatiques. En matière ferroviaire, l’Europe domine le matériel roulant mondial avec Alstom, Siemens,CAF et Stadler. L’Europe (avec l’Allemagne, l’Italie et l’Autriche…) est la première puissance occidentale de machines-outils et d’automatisation industrielle ; elle est le deuxième exportateur mondial de machines-outils (derrière la Chine). En nucléaire civil, l’Europe (France, Finlande, République tchèque) maîtrise l’ensemble de la chaîne, ce qui n’est plus le cas des États-Unis. En éolien, c’est en Europe que se trouvent les plus grands fabricants occidentaux (Vestas, Siemens Gamesa, Nordex). Les modèles européens de gestion des réseaux électriques sont copiés partout. L’Europe est loin devant les États-Unis dans toutes les industries de l’environnement (gestion de l’eau, traitement des déchets, éco-matériaux, économie circulaire). La chimie européenne est plus exportatrice, plus innovante que la chimie américaine (hors pétrochimie). Enfin, si les États-Unis dominent encore l’industrie des médias, dans un autre soft power majeur, le luxe, l’Europe est totalement dominante.

Et même dans un domaine stratégique où les Européens se croient totalement dépassés, l’armement, on sera surpris de réaliser que c’est très loin d’être le cas. Dans plusieurs catégories, les armements européens surpassent leurs équivalents américains : en matière de chars, le M1 Abrams américain, excellent mais conçu dans les années 1970, est très lourd, difficile à moderniser et très dépendant de son moteur turbine, alors que le Léopard 2 allemand est le meilleur char occidental et que d’autres chars européens, comme le Leclerc ou le Challenger 2, ont des caractéristiques exceptionnelles. En matière d’artillerie, la guerre d’Ukraine a montré que les armes européennes (le CAESAR français et l’Archer suédois) sont les plus précises et les plus robustes, donnant à l’Europe la meilleure artillerie automotrice occidentale. Dans le domaine des missiles, l’Europe dispose des meilleures armes de pénétration au monde comme le SCALP, utilisé en Ukraine, d’une portée et précision supérieures à ses homologues américains (à l’exception du Tomahawk) ; le Taurus KEPD 350 (Allemagne/Suède) est l’un des missiles les plus performants de sa catégorie ; l’Exocet est la référence mondiale des missiles antinavires ; le Meteor (MBDA) est le meilleur missile air-air longue portée occidental, supérieur à l’AMRAAM américain. En matière de défense antiaérienne de très courte portée, le Mistral 3 français et l’IRIS-T SLS / SLM allemand sont actuellement les plus performants, alors que les États-Unis dominent encore les missiles à longue portée avec leur Patriot. En matière d’avions de combat, si les États-Unis alignent le F-35, les Européens peuvent proposer trois avions redoutables (le Rafale, le Gripen et l’Eurofighter) parfaitement compétitifs et bien plus autonomes que leur concurrent américain, en termes de maintenance, de composants et de pièces de rechange. En matière d’armes navales, l’Europe est aussi très en avance avec la torpille française F21, et avec les frégates FREMM, pendant que les États-Unis dominent, pour un temps encore, le marché des porte-avions. Enfin, les Européens (France, Norvège, Royaume-Uni, Ukraine) sont en avance sur les drones de surface et sous-marins.

Il ne faut cependant pas se cacher que nous, Européens, avons accumulé beaucoup de retard dans de nombreux domaines essentiels, en particulier dans la chaîne du numérique, ce qui réduit tragiquement l’autonomie de nos systèmes d’armes et de nos systèmes financiers. Ce retard n’est pas irrattrapable. Les Européens ont les moyens financiers et technologiques pour le combler. Reste à le faire, à marche forcée, en ayant confiance en nous-mêmes : il n’est de pire combattant que celui qui intériorise sa défaite avant même que ne commence la bataille. Si les diatribes du Président Trump sont entendues à temps, si les Européens ne se couchent pas devant lui, il faudra le remercier : il aura moins servi à nous réveiller et il aura été un des plus grands bienfaiteurs, involontaires, de l’Union Européenne.

 

Image : Epa-Efe/ Patrick Seeger