Les marques disent tout du monde ; et leur histoire est celle des nations dont elles incarnent les valeurs. On aime une marque parce qu’elle représente le meilleur d’un pays ou d’une culture, parce qu’on veut se distinguer, et parce qu’on entend signifier son propre statut social par sa capacité à choisir le meilleur, même et surtout venu de loin. Les marques qu’on privilégie disent qui on veut être, et comment on veut être vu par les autres.
Tout au long de l’Histoire, les riches ont aimé ce qui venait de pays lointains : en Europe, on a aimé ainsi, selon les périodes, les turqueries, les chinoiseries, les japoneries, et les produits qui venaient de l’Inde, de Perse, ou de Russie. En Orient, on a aimé ce qui venait de Venise, de Gènes, de France, des Provinces-Unies, de Grande Bretagne. Les marques n’étaient pendant longtemps que la signature d’artisans d’exception, fabriquant des objets uniques. Il y a cinq mille ans, en Mésopotamie, les meilleurs potiers apposaient des sceaux sur leurs jarres pour attester la valeur de leur atelier. Un peu plus tard, les artisans grecs et romains marquaient les amphores, les briques, les tissus, les épées. À partir du XIIᵉᵉ siècle, les corporations européennes imposaient les premières marques obligatoires, (d’où le mot « marque ») : marques de fabrique pour les orfèvres, poinçons sur les armes, marques sur les tissus (notamment en Italie et en Flandre). La plus ancienne marque occidentale encore en activité semble être Stella Artois, une brasserie belge, née en 1366. Puis vient Twinings Tea (1706, Royaume-Uni) et Levis (1853, États-Unis). La première marque française encore existante est Perrier, déposée en 1863, sur la base de la première loi française sur les marques, de 1857, même si d’autres firmes, comme Saint Gobain, Ruinart, Hermès, et Vuitton, sont nées avant, sans être tout de suite des marques commerciales.
Au 20ème siècle, le succès des marques est encore associé avec l’identité de leur pays d’origine : acheter un produit américain, c’était un signe de qualité, d’avant-garde, de modernité. Les marques anglaises incarnaient encore le confort et la tradition ; les marques françaises le raffinement et le statut social ; les marques allemandes la solidité ; les marques italiennes la qualité de vie.
A chaque époque, les riches et les classes moyennes supérieures des pays émergents se sont fournis en produits de marques des pays dominants. Et, quand le commerce international a commencé à se développer, les classes populaires des pays dominants se sont fournis de plus en plus en produits à bas prix, sans marque, venant des pays émergents. Jusqu’à ce que les pays émergents deviennent à leurs tours dominants et que leurs marques deviennent attractives, d’abord pour leurs propres élites, puis pour celles des pays anciennement dominants. On a vu cela arriver successivement avec les produits anglais, américains, japonais, coréens. Et aujourd’hui chinois.
A chaque fois, comme on l’a vu encore récemment avec les produits japonais et coréens, les anciens dominants commencent par dénigrer les produits du nouveau devenu, en disant qu’ils ne sont que de pâles imitations de leurs propres marques, qu’ils ne sont ni durables ni fonctionnels, qu’ils sont produits sans respect des conditions de travail et de l’environnement. A chaque fois, ces marques nouvelles progressent, deviennent des imitations de qualité, puis innovent, étonnent, et deviennent des objets à la mode : Personne ne critique plus aujourd’hui la qualité des voitures japonaises, ou des produits de beauté coréens.
Les Chinois l’ont compris. Comme ils ont compris, avant bien d’autres, il y a trente ans, l’électrification à venir du monde (prenant des décennies d’avance dans le raffinage des terres rares et la production d’aimants, de panneaux solaires, d’éoliennes et de centrales nucléaires), ils ont compris l’importance de se doter de marques.
Par une stratégie consciente et bien menée, les Chinois développent maintenant leurs propres marques, dans tous les domaines. Ils cesseront un jour de se précipiter dans les magasins des marques occidentales, en Chine et en Europe, et affirmeront leur fierté nationale et leur statut social par l’achat de leurs propres produits de luxe. Ils privilégieront leurs propres marques de vin, d’alcools, de voitures, de vêtements, de parfums, d’accessoires de mode, de meubles. Ils noieront très bientôt le reste du monde non plus de produits bon marché, qu’on décrie aujourd’hui, mais de produits raffinés de leurs propres marques, venant concurrencer les nôtres, après avoir conquis leur propre marché, immense et exigeant.
Avant eux, c’est ce qu’on fait les Américains puis les Japonais. Après eux, viendront les marques indiennes, et un peu plus tard, sans doute, les marques africaines. Certaines s’imposent déjà, sur quelques créneaux.
La réponse, pour les Occidentaux et en particulier les Européens, doit être d’abord dans la défense de leur identité, dans toutes les dimensions, écologique, politique, culturelle, touristique que véhiculent leurs marques : il n’y a pas de marque sans accueil et sans maintien de l’authenticité et de la qualité des produits. Elle doit être aussi et surtout dans l’innovation. En particulier, après avoir raté les innovations nécessaires aux énergies durables, alors qu’elles étaient à leur portée, les Européens ne doivent pas manquer les innovations qui seront nécessaires à la survie de l’humanité( l’agriculture saine, la santé, l’éducation, la culture, l’alimentation saine, l’énergie durable, l’eau, la mobilité durable), tout domaine où ils ont déjà des marques mondialement reconnues ; qui ne le resteront que si elles ne s’endorment pas sur leurs lauriers et osent les virages immenses qu’exige le siècle qui vient.
Image : source Brand Finance

