La jeunesse marocaine a spontanément trouvé un slogan pour revendiquer, avec un succès certain, qu’on la prenne au sérieux : GenZ 212, associant la définition d’une tranche d’âge et l’indicatif téléphonique du pays.

Peut-on imaginer que la jeunesse française en fasse autant et que naisse bientôt un mouvement qui se nommerait GenZ 33 ?

Je parle ici de ceux des Français ayant entre 15 et 30 ans en 2025. Ils représentent environ 12 millions de personnes, soit un peu moins d’un cinquième de la population du pays. Même s’il est illusoire de faire des généralités, en raison, en particulier, des différences de milieu social, ils sont beaucoup plus nombreux que leurs anciens à être diplômés de l’enseignement supérieur. Beaucoup plus nombreux aussi à vivre en ville ou en banlieue. Beaucoup moins nombreux à venir d’un milieu rural ou ouvrier. Beaucoup plus divers culturellement. Leur façon de travailler, de consommer, de voyager et de s’informer diffère de celle des générations précédentes. Ils sont souvent perçus comme plus créatifs, engagés, attentifs aux questions sociales et environnementales, et sensibles aux valeurs de transparence et d’authenticité. Ils veulent une vie personnelle réussie, heureuse, libre, loin des tabous et des modèles stables et conformistes de vie privée et de carrières professionnelles imposées à leurs parents.

En théorie, s’ouvrent à eux des perspectives bien plus vastes : ils ont grandi avec Internet, les smartphones, et les réseaux sociaux. Ils ont accès à des outils numériques et physiques inimaginables vingt ans plus tôt ; à une  information instantanée sur tous les sujets. Ils savent qu’il y a devant eux des vagues immenses de progrès technologiques dans tous les domaines qui bouleverseront leurs vies. Ils peuvent apprendre tout et n’importe quoi gratuitement. Ils ont un accès beaucoup plus vaste aux cultures étrangères, des possibilités de voyages inégalées et beaucoup moins coûteuses, ce qui les conduit à une plus grande tolérance aux différences identitaires. Plus particulièrement, les jeunes femmes ont un avenir infiniment plus libre et prometteur que leurs mères.

Et pourtant, malgré cette maturité bien plus précoce, et quel que soit le statut et la classe sociale de leurs parents, ils sont collectivement les grands perdants de l’avenir ; parce que le monde que leur préparent leurs aînés est beaucoup moins attractif que celui dont disposaient et pouvaient espérer leurs parents au même âge.  Ils ont une beaucoup moindre perspective de pouvoir changer de milieu social ; ils ont moins de chance d’être propriétaire d’un logement avant 40 ans (leurs parents pouvaient acheter leur premier logement avec moins de 5 années d’épargne , alors que les GenZ 33  ne peuvent n’en espérer qu’un beaucoup plus petit, ce qui réduit aussi nécessairement  leur désir d’enfant).  Pris dans la boite noire de Parcours Sup, aux exigences de plus en plus fortes, leur orientation universitaire a été beaucoup plus difficile que celles de leurs parents ; les emplois qui leur sont proposés sont beaucoup moins stables ; et même si le CDI existe toujours, les débuts de carrière sont beaucoup plus souvent marqués par l’alternance, les CDD, l’intérim, ou des missions courtes, dans un monde professionnel beaucoup plus compétitif, avec une demande de compétences beaucoup plus larges et des enseignements bien plus rapidement obsolètes. Enfin, les inégalités sociales pèsent sur eux plus encore que sur leurs parents.

Leur avenir plus lointain est encore moins prometteur : leurs retraites ne sont plus financées ; ils héritent d’une dette publique d’un montant inimaginable, accumulée pour financer le bien-être de leurs parents.  Ils savent qu’ils vont prendre de plein fouet le dérèglement climatique, la perte de biodiversité, la pollution, la nourriture industrielle, le mal-être et le désordre urbain. Ils savent aussi que les attendent une situation géopolitique mondiale plus qu’inquiétante.  Pas étonnant qu’ils soient bien plus nombreux que dans les générations précédentes à souffrir d’une santé mentale fragile et à se perdre dans des drogues naturelles, chimiques ou virtuelles.

Dans la France d’aujourd’hui, telle que la résume la lamentable discussion budgétaire au Parlement en ce moment, les GenZ 33 sont les grands perdants. Alors que les élus, de tout bord, font tout pour maintenir, les conditions de vie de tous les retraités, des assistés, la plupart légitimes, et des détenteurs de rente, rien n’est fait pour la Gen Z et encore moins pour les générations suivantes : Ne pas retarder l’âge de la retraite quand la population vieillit, ce n’est pas « voler trois ans de vie des gens de soixante ans » comme on l’a dit au sénat, c’est extorquer bien plus de temps de vie aux plus jeunes, qui  travailleront  pour payer ces retraites, au détriment de leurs propres vies et de celles de leurs enfants. Et les GenZ 33 voient bien que ce budget ne prévoit aucun investissement sérieux pour préparer leur avenir écologique, éducatif, scientifique, social. Et  encore moins pour leur donner à chacun un espoir crédible de progresser socialement, économiquement et culturellement.

Comment des jeunes plus libres, ayant plus de compétence et de moyens d’agir que leurs anciens, peuvent-ils ainsi accepter d’être  mis à l’écart de la définition de leur propre futur ? Pourquoi se laissent-ils représenter par des gens et des partis qui n’ont rien à faire de leur avenir, (même quand ils sont de la même génération qu’eux)? Sans doute parce que, dans la logique individualiste de cette génération, la plupart des membres de Gen Z 33  cherchent à trouver leur propre place, sans penser à agir ensemble, faisant ainsi le jeu des générations précédentes et de la protection de leurs privilèges.

Si l’égoïsme collectif caractérise les générations précédentes, c’est l’individualisme qui menace de perdre les plus jeunes. Ce n’est pourtant l’intérêt de personne : si les gens de GenZ 33 fuient le monde qu’on leur laisse, les retraites de leurs aînés ne seront pas financées. Chacun a donc intérêt au bien-être de l’autre.

Et ce sont d’ailleurs les pays où la Gen Z se fait le plus entendre qui sont promis au meilleur avenir.