Toute  personne condamnée s’accroche au moindre espoir de réduction de peine. Tout amoureux délaissé guette le moindre signe qui pourrait lui faire espérer le retour de sa bienaimée. Tout malade s’accroche au moindre signe de rémission.

Il en va de même des peuples, qui aiment si peu les prédictions sombres qu’ils s’empressent de se gausser des Cassandre, dès qu’ils peuvent les prendre en flagrant délit de pessimisme excessif.

Je sens monter aujourd’hui  en France, au moins dans quelques cercles,  une telle attitude. Parce que trois pronostics inquiétants ne se sont pas matérialisés:

1. Les manifestations du 1er et 5 mai n’ont pas conduit à un raz de marée submergeant les pouvoirs.

2. Le déficit public n’est plus une préoccupation majeure depuis que la commission européenne a donné deux ans à la France pour le réduire au-dessous de 3% et que les taux d’intérêt sont devenus si bas que, malgré la croissance de la dette, la charge de son remboursement  pèse d’un poids décroissant.

3. L’industrie automobile française démontre qu’elle n’est pas perdue puisque Toyota  et Renault  viennent d’annoncer leur  décision de produire en France, a Onnaing pour l’un, a Filins pour l’autre,  à destination du marché mondial,   des modèles de très grande série, la Yaris et la Nissan Micra, produites  avec une automatisation unique au monde et a des prix  parfaitement compétitifs.

Le pouvoir politique pourrait en conclure que le pire est passé et qu’une fois de plus, le changement naturel de la société  sera un excellent substitut à la reforme volontaire de l’Etat. Il pourrait même bientôt y être encouragé par de moins mauvais sondages, qui auraient d’ailleurs  un peu de  mal à descendre plus bas.

Et pourtant,  il n’y aurait rien de pire aujourd’hui que de trop  bonnes nouvelles, qui conduiraient à relâcher les efforts.

Et s’en glorifier, serait le plus mauvais service qu’on puisse rendre au pays.

En réalité,  ces catastrophes encore évitées démontrent seulement  que rien n’est perdu, dans l’impitoyable concurrence mondiale,  et qu’il faut seulement redoubler d’efforts. Car même ces trois sujets restent d’actualité:

1. Le désespoir politique croit dans un pays ou un jeune sur 3, (et chez les plus pauvres un jeune sur deux)  est au chômage;  et  où les emplois sont de plus en plus  réservés aux fils de riches, de cadres, et d’enseignants.

2. La dette publique va continuer d’augmenter: dans certains pays européens elle augmente même de 20 points de Pib  en un an. Et en  France, sans action massive immédiate,  elle ne peut qu’augmenter continûment. La commission européenne, dont la lâcheté n’a d’égal que l’incompétence, ne lui a pas rendu service en bénissant le laxisme et changera d’avis  quand les marchés s’inquiéteront de nouveau.

3. Le juge de paix de la compétitivité, source majeure de l’emploi,  est  la balance du commerce extérieur; et elle  condamne la France chaque année plus sévèrement.

Baisser la garde serait donc la pire attitude; il faut prendre au contraire  ces bonnes nouvelles pour ce qu’elles sont: des incitations à ne pas se résigner, à agir. Vite. Sérieusement.

En chassant le mot » procrastination » de son vocabulaire. En reconnaissant  que le seul printemps qui vaille est celui qu’on a  aidé  à éclore.

J@attali.com