Avant même la pandémie, tout était fait pour favoriser le bien être immédiat des plus âgés, contre l’intérêt des plus jeunes. C’est en particulier vrai dans les pays développés, dont les décisions d’aujourd’hui ont le plus d’impact sur l’avenir de la planète. Et même quand leurs dirigeants souhaitent agir dans l’intérêt des générations futures, leurs électorats sont là pour leur rappeler que leur mission est d’abord de servir les intérêts de la majorité de leurs électeurs, qui ont partout plus de 40 ans, voire 50.

Le refus de l’inflation, le déni des enjeux climatiques, la consommation de plastique à usage unique, la pollution des fleuves et des mers, sont quelques manifestations de cette préférence pour les vieux. Une autre en est dans la façon dont, presque partout, on néglige les étudiants ; en particulier dans la pandémie. Et même dans un pays comme la France, où on fait presque tout pour amortir financièrement l’impact sur tous les métiers, de ce choc terrible, on refuse de faire le nécessaire pour fournir aux jeunes les moyens de vivre assez décemment pour pouvoir étudier sereinement.

La pauvreté des jeunes n’est pas un phénomène nouveau ; avant la pandémie en France, 22% des moins de 30 ans qui ne vivaient pas chez leurs parents étaient pauvres (moins de 885€ par mois) et ils constituaient plus de la moitié des 5,3 millions de pauvres du pays ; parmi ceux de ces jeunes qui étudiaient, près de 20% d’entre eux vivaient sous le seuil de pauvreté ; plus de la moitié devait travailler ; et plus de la moitié de ceux qui travaillaient ne pouvaient pas étudier correctement.

C’est bien pire depuis la crise sanitaire : un jeune, en résidence universitaire, avec ou sans bourse, avec ou sans un petit boulot, pour compléter ce que ses parents peuvent encore lui donner, doit maintenant étudier toute la journée dans sa chambre et ne peut même plus se nourrir au restaurant universitaire. Comment fait-il quand les petits boulots ont disparu, ou sont beaucoup plus difficiles à trouver ? Doit il abandonner ses études pour trouver de quoi survivre ? Beaucoup le font. Que fait-on pour eux ? À part les bourses, très limitées, rien. On applique la théorie du capital humain, qui irrigue depuis des décennies la théorie économique américaine et française, selon laquelle les études universitaires ne bénéficient qu’à celui qui étudie, et que, en conséquence, la collectivité n’a pas à les financer. Alors, on leur dit : « les études, c’est votre affaire. C’est à vous à trouver comment financer vos frais universitaires, votre logement, votre nourriture. En travaillant s’il le faut. On ne vous apportera une aide supplémentaire que si vous renoncez à étudier pour entrer sur le marché du travail ; là, vous pourrez bénéficier d’un emploi subventionné dans le secteur privé (CIE jeunes), ou dans le secteur public et associatif (PEC jeunes), ou d’un accompagnement vers l’emploi ; et on versera même une prime aux entreprises qui voudront bien vous embaucher ». Et avec, dans quelques cas très limités, une aide, plafonnée à 497€ par mois.

Qui peut vivre et étudier avec ça ?! Et plus encore, qui peut vivre sans ça ? Et que deviendra un pays où bien des étudiants d’aujourd’hui, contraints à renoncer, n’acquerront pas les compétences nécessaires au monde de demain ? Certains pays ont une tout autre approche : Ils ont compris l’importance, pour les générations actuelles, de se mettre au service des générations futures ; et en particulier au service des étudiants. Ils ont compris qu’un pays dans lequel plus aucun jeune n’irait à l’université serait vite plongé dans le déclin le plus profond, qu’étudier est une activité socialement utile, et qu’elle mérite donc rémunération.

Depuis longtemps, Finlande, Suède, Norvège, Danemark, Ecosse, Autriche, Grèce, ne font payer aucun frais universitaire aux étudiants dans le premier cycle (parfois aussi dans le deuxième cycle) ; quatre d’entre eux, (Danemark, Suède, Norvège et Finlande) vont beaucoup plus loin et attribuent des revenus décents à tous leurs étudiants sans condition de fortune. Ainsi, le Danemark délivre-t-il une allocation de 750€ nets par mois à chaque étudiant de plus de 20 ans ne justifiant d’un autre revenu supérieur à 1500€, (soit 90% des étudiants) ; il y ajoute des prêts très généreux et des aides complémentaires pour financer des frais de scolarité parfois très élevés pour faire des études à l’étranger ; il octroie cette aide aussi aux étudiants européens étudiant au Danemark, à condition qu’ils travaillent 10 à 12h par semaine à coté de leurs études. On retrouve des mécanismes équivalents en Norvège et en Suède, et, dans une moindre mesure, en Finlande.

Il faut donc aller bien au-delà d’un simple RSA jeune, refusé aujourd’hui, et qui serait pourtant la moindre des choses ; il faudrait reconnaitre l’utilité sociale des études universitaires et professionnelles et rémunérer tous les étudiants, parce que leurs études préparent l’avenir du pays. Ce serait à l’honneur de l’Union Européenne de proposer à tous les pays membres de mettre en place un tel mécanisme, sur le modèle des plus avancés d’entre eux.

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