L’horrible crime (une jeune fille torturée, violée, assassinée) que vient de juger la cour d’assises des mineurs de Haute-Loire n’appelle aucune compassion pour le coupable. Et le verdict, qui le condamne à la prison à perpétuité, sans pratiquement aucune perspective de sortir jamais, peut se comprendre.

Mais je ne peux m’empêcher de penser que cette affaire est non seulement un formidable gâchis, mais aussi l’occasion de réfléchir à  la nature même  de la réponse sociale à la violence.

D’abord, la collectivité nationale est infiniment coupable d’avoir laissé en liberté ce jeune homme, après un premier crime de même nature (torture et viol), sans aucune surveillance, sans même que les responsables du collège où ses parents l’avaient inscrit ne sachent la nature du crime dont il s’était rendu coupable. Tout était donc en place pour que ce jeune homme obéisse de nouveau à ses pulsions et commette un second crime, plus horrible que le premier puisqu’il s’est traduit par la mort de sa victime.

Ensuite parce que c’est, pour moi, l’occasion de réfléchir sur le système carcéral.  A quoi sert-il ?  A punir, pour dissuader d’autres de commettre un crime ? Non. Car la peur de la prison n’a jamais empêché personne de  passer à l’acte.  A punir pour dissuader le même de recommencer ?  Non. Car le passage par la prison transforme très souvent un petit délinquant en un grand. A mettre à l’écart un criminel ?  Non. A moins de le placer en prison à vie, comme c’est le cas, aux Etats-Unis pour tout criminel, après un certain nombre de récidives.

C’est même la seule justification qu’on peut admettre à la prison : mettre définitivement à l’écart un individu qui s’est montré incapable d’obéir aux lois de la société. Mais à partir de quelle  gravité du crime faudrait-il en arriver à une telle condamnation à mourir vivant ? On comprend alors la folie d’un tel raisonnement.

Je suis convaincu que, dans un siècle, la prison paraîtra à nos petits-enfants aussi barbares que nous semble aujourd’hui la peine de mort.  Et qu’il faudra trouver de nouvelles solutions. Et pour y parvenir, il faudra revenir à l’essentiel : Dans nos sociétés, l’Etat dispose en principe du monopole de la violence, en l’interdisant aux autres. Il exerce cette violence en faisant respecter la loi, qu’elle soit démocratique ou non. Qu’elle passe par la peine de mort ou par la prison.

Mais  faut-il se contenter de débattre de savoir qui a droit à l’exercice de la violence, ou faut-il chercher au contraire à l’éradiquer ? Faut-il considérer la violence comme une dimension incontournable de la nature humaine ? Et faut-il se contenter d’en maîtriser les manifestations ? Si tel est le cas, alors l’État a tous les droits,  y compris celui de maltraiter les  violents qu’il arrête. Et ce n’est pas en aménageant un peu, ou beaucoup, le système carcéral, qu’on sortira de cette réalité.

La seule façon d’y parvenir serait de réfléchir aux sources mêmes de la violence, pour les faire disparaître. Il est insensé que le monde consacre si peu de moyens de recherches à cette question simple : comment réduire la violence humaine ?  Bien des pistes existent pourtant, qui  passent par des progrès dans les techniques de méditation et de maîtrise de soi, et par des découvertes dans les neurosciences ; elles pourraient permettre de comprendre ce qui en est la cause, d’orienter les pulsions de chacun vers une énergie positive, vers l’amour et l’altruisme ; et, lorsque ce n’est pas possible, de créer les conditions d’une maîtrise chimique ou numérique de ces pulsions : un jour, on saura assez du cerveau humain pour arrêter  à temps le geste de tout criminel. Si possible démocratiquement.

D’ici là, reconnaissons que toute société est, et doit être, aussi barbare que ceux qu’elle prétend mettre hors d’état de nuire. Et cherchons encore.

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