La crise financière actuelle  nous rappelle les vertus et les dangers du monde dans lequel nous vivons: il est  de plus en plus  celui   du virtuel, c’est à dire des signes ; et en particulier dans trois domaines,  de plus en plus envahissants : la musique,  l’internet et la finance. Les deux premiers  sont pratiquement purement virtuels et se développent à l’ infini sans nuire à quiconque. Le troisième oublie trop souvent  qu’il  n’est que  l’interface du réel ;  et celui-ci  finit par lui rappeler ses contraintes: celles de la rareté. La dérégulation convient aux deux premiers, pas au troisième.

Ces trois domaines  sont aussi, et ce n’est pas un hasard,  des lieux privilégiés d’usage d’une drogue qui prétend décupler les moyens intellectuels et créatifs, avec  des effets de plus en plus ravageurs: la cocaïne. Il  a de plus en plus  de cocaïnomanes  dans le monde, en particulier chez les très jeunes gens ; beaucoup plus que la lâcheté des adultes ne leur permet de le reconnaître: même si le prix de chaque dose s’effondre, le chiffre d’affaire de cette industrie est en pleine croissance,  supérieur même à celui du pétrole, pour seulement, semble t il ,  1000 tonnes produites .

Connue en Europe  depuis plus de cinq siècles, la cocaine  est particulièrement adaptée  à celui qui cherche à échapper au contraintes du réel, pour oser ce que son mal être où sa  raison  lui interdiraient de tenter, en particulier dans un univers d’intense compétition. Le  cocaïnomane  développe alors  un cerveau virtuel, qui doit être nourri de plus en plus,  d’euphorie en descente, atrophiant son  cerveau réel ; il   ne conçoit bientôt  plus aucune contrainte morale, aucun  état de droit; il n’admet    ni limite, ni frein ; il  se  croit  doté d’une intelligence absolue,  et se pense capable de résoudre toutes les difficultés ; il se pense même   indifférent à  la douleur, à la fatigue, au sommeil et à la faim. Il se croit  invincible et pense son jugement infaillible.

Le monde de la finance est le reflet de ce monde sans état de droit, où tout est possible, dans un univers d’optimisme et  de virtualité absolue ; un monde de compétition extrême sur tous les marchés du monde, en éveil 24 heures sur 24.  Il est donc  le cadre parfait de l’expression et de l’action  des cocaïnomanes, somnambules euphoriques : pas étonnant qu’ils soient si nombreux dans les salles de marché, pas étonnant aussi que tant de risques y ont été pris.  Le trader cocaïnomane  ne met jamais en doute ses propres décisions, des décisions de plus en plus erratiques, persiste dans des investissements absurdes,   puis  sombre dans le pessimisme, la dépression,  la paranoïa et  la panique. Exactement ce qui s’est passé sur les marchés.  La crise financière est ainsi l’annonce de ce que serait  le monde sous cocaïne: Un cauchemar  d’irréalité  euphorique, inconsciente et suicidaire

Un des éléments de la résolution de la crise serait donc  l’interdiction effective de l’usage de drogues dans les salles de marché.   On voit difficilement le G20 en faire une de ses priorités. Et pourtant…

Plus généralement, la  solution de la crise exigera   une forme de désintoxication a l’égard de l’excès de dette, drogue sociale qui permet de vivre dans d’irréalité.

Aucune désintoxication n’est facile. Et celle là le sera moins qu’aucune  autre.