L’Histoire nous apprend que l’humanité n’évolue significativement que quand elle a  vraiment peur : elle  met alors d’abord en place   des mécanismes de défense ; parfois intolérables (des boucs émissaires et des totalitarismes) ; parfois futiles (de la distraction) ; parfois   efficaces  (des thérapeutiques,   écartant si nécessaires tous les principes moraux antérieurs).  Puis, une fois la crise passée,  elle transforme ces  mécanismes  pour les rendre compatibles avec  la liberté individuelle, et  les inscrire dans  une politique de santé démocratique.

La pandémie qui commence pourrait   déclencher une de ces peurs structurantes.

Si elle n’est pas plus grave que les deux précédentes  peurs liés à un risque de pandémie (la crise de la  vache folle de 2001 en Grande Bretagne et  celle de  la grippe aviaire de 2003 en Chine),  elle  aura d’abord  des conséquences économiques  significatives ( chute des transports  aériens, baisse  du tourisme et du prix du  pétrole  )  ; elle  coutera environ 2 millions de dollars par personne contaminée et fera baisser les marchés boursiers d’environ  15% ; son impact sera très bref (le taux de croissance chinois n’a baissé que pendant  le deuxième  trimestre de 2003, pour exploser à la hausse au troisième)  ; elle aura aussi des conséquences en matière d’organisation (En 2003, des mesures policières très rigoureuses ont été prises dans toute l’Asie ; l’Organisation Mondiale de la Santé a   mis en place des  procédures mondiales d’alerte ; et  certains pays, en particulier la France et le Japon, ont constitué des réserves considérables de médicaments et de masques).

Si elle est un peu plus grave, ce qui est  possible, puisqu’elle est transmissible par  l’homme, elle aura des conséquences véritablement planétaires : économiques  ( les modèles laissent  à penser  que cela  pourrait  entrainer une perte  de 3 trillions de dollars, soit  une baisse de 5% du PIB mondial)  et  politiques  (  en raison des risques de contagion, les  pays du Nord auront intérêt à ce que ceux du Sud ne soient pas malades et  ils devront  faire en sorte que les plus pauvres aient accès aux médicaments aujourd’hui stockés pour les seuls  plus riches) ; une pandémie majeure fera  alors  surgir,  mieux qu’aucun discours humanitaire ou écologique,   la prise de conscience de  la nécessité  d’un  altruisme, au moins intéressé.

Et,  même si, comme il  faut  évidemment l’espérer, cette crise n’est  très  grave, il ne faudra pas oublier , comme pour la crise économique, d’en tirer les leçons,   pour qu’avant la prochaine, inévitable, on mette en place des mécanismes de prévention et de contrôle et des processus logistiques de  distribution équitable des médicaments et de vaccins.  On devra  pour cela mettre en place une police mondiale, un stockage mondial et donc  une fiscalité mondiale.  On en viendra alors, beaucoup plus vite  que ne l’aurait permis la  seule raison économique, à mettre en place les bases d’un véritable gouvernement mondial.   C’est d’ailleurs par l’hôpital  qu’à commencé en France au 17ème siècle la mise en place d’un véritable Etat.

En attendant,   on  pourrait au moins espérer la mise en œuvre d’une véritable  politique européenne sur le sujet.  Mais là  encore,  comme sur tant d’autres sujets, Bruxelles est muet.