Les Anglo-saxons ont, parmi d’autres défauts hérités des temps révolus de leur toute puissance, celui de croire à leur impunité.

Quoiqu’ils fassent, il ne leur vient jamais à l’idée que les autres pourraient utiliser les mêmes armes qu’eux ; ils  ne pensent jamais qu’ils pourraient souffrir de représailles.  Et de fait, la théorie des jeux, comme la pratique stratégique et géopolitique enseignent que  le faible n’a jamais intérêt à employer les armes du fort: cela se retourne toujours, dit-on,  contre lui. Il doit, pense-t-on, ne pas rendre coup pour coup, mais trouver des méthodes spécifiques, comme  celles de David face à Goliath.

Aussi, il ne vient pas, aujourd’hui, à l’idée des Anglais que les autres Européens pourraient prendre l’initiative de leur fermer les marchés continentaux. Ni aux Américains l’idée que les autres pays du monde pourraient refuser d’y investir,  d’y placer leur argent, d’y envoyer leurs talents et même, de laisser leurs citoyens y venir en vacances ou y travailler.

L’un et l’autre pensent que leurs partenaires ont tellement besoin d’eux qu’ils se résigneront à subir leurs actes unilatéraux et  les supplieront d’accepter un compromis.

En particulier,  c’est là-dessus que compte Trump: en bon tacticien des affaires, il sait que,  s’il est seul à appliquer ces mesures, il en tirera des bénéfices ; il rapatriera des emplois tandis que les autres continueront d’importer des produits américains et de financer son déficit.

Et si les Anglo-Saxons avaient tort ? Et si les autres ne se résignaient pas à leur toute puissance ? Et si le reste du monde employait les mêmes armes qu’eux ?

S’ils sortaient de cette dépendance mentale à laquelle  ils sont habitués, les partenaires des Anglo-Saxons, (et en particulier les plus importants, les Européens et les Chinois) pourraient comprendre que les armes dont ils disposent  en réponse,  sont infiniment plus redoutables qu’ils ne le croient.

Par exemple, il  suffirait,  face à la Grande-Bretagne, que les autres Européens se ferment aux produits britanniques, industriels ou financiers, en invoquant les articles adéquats du Traité,  pour que Londres cède. De même, il suffirait que les Européens et les Chinois se liguent pour appliquer  contre les États-Unis les  mêmes mesures protectionnistes  que Trump vient de prendre contre eux pour que l’économie américaine s’effondre. Cela voudrait dire : interdire aux citoyens américains de venir en Europe et en Chine. Interdire aux entreprises européennes et chinoises d’investir aux Etats-Unis pour réexporter ailleurs dans le monde. Interdire aux banques européennes et chinoises d’acheter des bons du Trésor américain.

Le moment est venu pour les Européens et les Chinois de ne pas trembler, et de menacer, d’une façon crédible,  May et Trump de mettre en œuvre représailles proportionnées. Si elles sont crédibles, May et Trump ne pourront que reculer, sous la pression des seuls gens qu’ils écoutent vraiment, leurs  amis milliardaires.

Encore faudrait-il qu’il y ait en Europe des gens assez déterminés pour vouloir, concevoir et exécuter une telle politique.

Naturellement, le risque serait alors grand d’un engrenage géopolitiquement suicidaire.  Le protectionnisme peut déraper dans le nationalisme et dans la guerre ; et justement,  si les Européens et les Chinois ne le font pas, c’est qu’ils savent, eux, que personne n’a rien à gagner à cet engrenage suicidaire de représailles.

Il n’empêche: ne pas le faire, c’est se condamner, chez nous,  au pire, pour le seul bénéfice de puissances dépassées. Le faire, c’est créer les conditions pour enrayer cet engrenage et en revenir à une mondialisation maitrisée et soumise à une règle de droit.

Accessoirement, ce ne serait  pas le moment, en France, de confier les rênes du pouvoir à un amateur…