En demandant à renégocier le Traité de l’Union Européenne, avant de soumettre par référendum à ses concitoyens la décision d’y rester ou de la quitter,   le premier ministre britannique David Cameron applique la célèbre maxime de Groucho Marx : « je ne serai jamais membre d’un club qui m’accepterait comme membre ».

Si surréaliste qu’elle soit, cette demande   est d’abord une manœuvre de politique intérieure : la droite anglaise est au bord de l’implosion : le parti conservateur est désormais  composé de deux courants,  fort hostiles l’un à  l’autre : l’un pro-européen (dont fait partie Cameron), l’autre nationaliste (à l’image du Tea Party américain). Et c’est pour tenter  de maintenir une unité de façade entre ces deux factions, et réduire son impopularité,  que Cameron a fait cette proposition.  Il espère ainsi fournir un exutoire  à  tous ceux qui, en Grande Bretagne, considère l’Union Européenne comme une sortie de dictature bureaucratique,  à la réglementation tatillonne et envahissante.

En apparence, cette proposition est habile : personne ne peut être contre un référendum et les travaillistes seront obligés de s’y rallier,  pour ne pas paraitre  se défier des électeurs. Et Cameron, appliquant  la doctrine qui a si bien réussi aux Anglais depuis le 18ème siècle, (diviser les autres Européens), espèrera obtenir des autres Européens une ou deux concessions, qui lui permettront  d’emporter les  prochaines élections législatives et le   référendum qui suivra.

En réalité, cette proposition est fort dangereuse : d’autres pays pourraient  s’engouffrer dans la brèche et demander, eux aussi, des statuts spéciaux. D’ores et déjà,  des partis politiques, en  Suède et en Italie semblent tentés ; d’autres suivront ; en France, même. Ce serait la fin de l’Union Européenne, qui ne peut être une collection d’accords bilatéraux sur mesure, sans solidarité.

La France et l’Allemagne doivent donc répondre au plus vite, d’une même voix: renégocier les Traités, pour faire progresser l’Union, évidemment : on le fait tous les jours  et cela sera de toute façon nécessaire, pour mettre en œuvre l’union monétaire. Mais accorder un statut spécial à la Grande-Bretagne ou à tout autre pays, pas question.  Quiconque voudrait obtenir un statut particulier devra  d’abord sortir de l’Union et ensuite négocier un statut d’association. Cela doit être dit clairement, et constituer une ligne infranchissable.

Pour imposer cette ligne, la France doit  savoir et faire savoir que la sortie de la Grande Bretagne serait fort triste, (au regard du rôle de ce pays dans l’histoire de l’Europe, et en particulier  dans la victoire contre les forces totalitaires, qui donna naissance au projet européen) , mais  que cette sortie serait beaucoup moins tragique que le maintien  dans l’Union avec un statut spécifique, l’exonérant de tout contrôle,  d’un pays qui devient chaque jour d’avantage le principal lieu de blanchiment de l’argent du monde, et qui s’obstine à freiner tout progrès dans la construction de l’Union et même  de celle de l’Eurozone, dont elle ne fait pourtant pas partie.

Seule une telle fermeté fera comprendre aux Anglais qu’ils ont  plus  à perdre à quitter l’Union que leurs partenaires : l’essentiel de leurs échanges commerciaux et financiers se font avec le continent et  grâce à l’Union. Alors,  en dignes héritiers de la « nation de boutiquiers », selon la formule que Bernard Shaw prêta un jour à Napoléon,  les Anglais feront leurs calculs, et ils  resteront.

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