Si l’on veut que l’actuelle embellie sur les marchés financiers (qui donne l’illusion que l’euro est sauvé) ne soit pas qu’une parenthèse entre deux orages, il est urgent de retrouver le chemin de la croissance, et pour cela, de préciser la stratégie politique nécessaire.

Aujourd’hui, on a seulement la certitude que les gouvernements de l’eurozone veulent que l’euro survive, sans perdre aucun de ses membres ; et que la BCE fera ce qu’elle peut pour les y aider. Mais cette volonté, si elle est nécessaire, n’est pas suffisante : la croissance étant nulle et les déficits ne l’étant pas, le ratio Dette/PIB ne peut qu’augmenter, dans tous les pays de l’eurozone, faisant remonter le coût des dettes publiques et discréditant toute politique de rigueur. L’euro ne pourra donc survivre que si sont mises en oeuvre au plus vite, dans chaque pays, des réformes de structures favorables à la croissance, et, si, à l’échelle de l’eurozone, on décide enfin de se servir de sa « capacité budgétaire » dont le Président Van Rompuy a judicieusement parlé.

Pour cela, il faut d’abord sortir d’une ambiguïté : M. Van Rompuy est Président de l’Union Européenne et la « capacité budgétaire » dont il parle est celle de l’eurozone, dont il n’a pas la charge.

Il y a en fait deux Europes : celle de l’Union, à 27, qui ne peut plus être qu’une zone d’état de droit commun dans quelques domaines très limités ; et l’Eurozone, à 17, qui, parce qu’elle s’est dotée d’une monnaie unique, doit devenir une zone d’harmonisation fiscale, de coordination budgétaire et de grands projets.

En conséquence, si on continue de laisser la Commission et le Parlement des 27 s’occuper des problèmes de l’Eurozone, on court à la paralysie : aucune de ces deux institutions n’a mandat pour organiser l’avenir commun de 17 pays, nécessairement différent de celui des 27. Aussi, subrepticement, sous prétexte de s’en occuper, la Commission et le Parlement n’auront de cesse que de faire capoter l’eurozone, parce qu’elle ne peut que leur échapper, comme des parents abusifs jaloux de leur enfant.

Il faut donc distinguer les institutions de ces deux Europes. Et en particulier leurs Parlements.

Et puisqu’on a commis le gaspillage de construire à Bruxelles un deuxième immeuble du Parlement européen, dont le siège est pourtant, selon les traités, à Strasbourg, profitons-en pour reprendre une décision radicale : à Bruxelles, le Parlement de l’Union ; à Strasbourg, celui de l’Eurozone : s’y réuniraient les députés élus au Parlement Européen des 17 pays membres de l’Eurozone (qui ne se sont d’ailleurs jamais réunis en tant que tels, même informellement). Ce nouveau parlement nommerait et pourrait renvoyer le Président de l’Eurogroupe ; il auditionnerait le Président de la BCE, contrôlerait le MES et la surveillance bancaire, gèrerait la coordination budgétaire et fiscale et, ultérieurement, lèverait la taxe sur les transactions financières, au bénéfice d’un Trésor européen en charge d’émettre des euros bonds, qui financeraient des investissements de croissance.

Tres vite, tout naturellement, un tel parlement s’érigerait en assemblée constituante. L’Europe pourrait commencer d’exister vraiment.

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