Un jour, il faudra remercier les médias et hommes politiques anglo-saxons pour avoir, en ce début de la deuxième décennie du 21ème siècle,  tant parlé de la crise de l’euro et des difficultés de la construction européenne.  Ils auront ainsi beaucoup aidé les Européens à en prendre conscience et à faire ce qu’il fallait pour y répondre. Et de fait, depuis 3 ans, l’Union Européenne a profondément transformé sa gouvernance : elle a mis en place des instruments (LTRO, OMT, MES) pour répondre à toute attaque contre l’euro ; elle a créé des outils pour stabiliser son système bancaire ; elle a  entrepris un processus de convergence budgétaire et même d’intégration fiscale.  Certes, bien des choses restent à faire: utiliser la capacité budgétaire de l’eurozone pour lancer de grands investissements, financer la formation professionnelle des chômeurs,   doter l’eurozone d’un Parlement. Tout cela viendra. Car les Européens commencent à comprendre que l’austérité n’est pas la solution et  que seule la croissance est une réponse démocratique à l’endettement et au chômage.

Pendant ce temps, le monde anglo-saxon ne voit pas que sa faillite approche à grands pas : les Anglais, qui se moquent tant de l’Eurozone, acceptent sans ciller un déficit budgétaire de plus de 8% du PIB et une dette publique hors de contrôle. Les Américains refusent de voir que, sur presque tous les points, leur situation est bien pire que celle des Européens : l’eurozone a une balance des paiements excédentaire ; pas les Etats-Unis ; le chômage américain (en prenant les vraies statistiques) est très supérieur à celui de l’Union ; les inégalités  et la criminalité sont très supérieures aux Etats-Unis qu’en Europe ; l’espérance de vie augmente en Europe, quand elle diminue aux Etats-Unis.

Quant à la dette publique, dont les médias anglo-saxons nous rebattent les oreilles pour l’eurozone, les Etats-Unis sont en pleine débâcle. En faillite même :

Leur dette publique atteint aujourd’hui 16.000 mds $, soit 100% du PIB. Dépassant tous les plafonds que le Congrès et le président  prétendent s’imposer.  Les derniers calculs, faits à partir des chiffres fournis par l’Office du budget américain montrent que le déficit public sera de 800 milliards en 2014 et au mieux de 590 mds en 2018, si toutes les économies promises sont faites et si la croissance reste, ce qui est tres peu probable, au-dessus de 4% par an à partir de 2015. Sinon, le déficit public se promènera, chaque année, entre 800 et 1000 mds $.  Autrement dit, dans la meilleure hypothèse, la dette publique américaine sera de 20.000 mds$ en 2018. Et plus vraisemblablement de 22.000 mds.  Une dette publique financée de plus en plus par la FED, qui en est la seule contrepartie.

Et  c’est  donc avec du papier, sans valeur autre que celle que veulent bien lui accorder ceux qui ont besoin d’eux, que les Etats-Unis continueront de financer leur armée, leur santé, leur administration.

De plus,  la balance des paiements américains connait un déficit de l’ordre de 500 mds par an depuis plus de dix ans.

Les Etats-Unis sont  donc dans une situation bien pire que celle de  l’Union Européenne, et même que les plus endettés des pays de l’Union. Ils sont en faillite. Et  le dollar ne tient que par ceux qui veulent bien maintenir leurs réserves dans cette  monnaie.

Qu’un jour les Chinois, pris par une frénésie antijaponaise (et, par le jeu des alliances, antiaméricaine), ou les pays du Golfe, (basculant sous le contrôle de fondamentalistes) décident de placer leur argent dans une autre monnaie, ou de libeller autrement le pétrole, et la  superpuissance s’effondrera. Ou  tentera de sortir de ses contradictions  par la guerre.

Cela n’est dans l’intérêt de personne. Et nous, Européens, devons rendre aux Américains le même service qu’ils nous ont rendu ces temps derniers : leur annoncer leur faillite prochaine, pour qu’ils en prennent conscience et se décident enfin à tenter, s’il est encore temps, de l’éviter. Ils en ont les moyens. A condition de ne pas croire que cela viendra tout naturellement, parce que tout leur serait dû.

C’est toujours quand ils se sont crus immortels que les empires les plus puissants ont disparu.

j@attali.com