La récente découverte des turpitudes des dirigeants de Lehmann et de leurs auditeurs, dont les conséquences furent considérables sur la crise mondiale, et donc sur l’emploi de centaines de millions de gens, démontre, si c’était encore nécessaire, que, depuis que la globalisation a fait son œuvre, ce qui se joue dans une entreprise peut avoir des conséquences sur la planète entière. De même, la facon dont Goldman Sachs a poussé le gouvernement grec à aggraver le maquillage de son déficit a eu aussi des conséquences tragiques, qui dépassent très largement le cadre grec. Or, nul tribunal international n’est compétent pour juger de tels délits.

D’une part parce que les sociétés sont à l’abri de la justice internationale : la Cour Pénale internationale, créée en 1998, n’est compétente que pour juger des personnes physiques ; et encore : si la poursuite d’un dirigeant d’entreprise semblerait possible en théorie, le cas n’a jamais été envisagé. Par contre, on ne peut pas y poursuivre une entreprise (et en particulier une institution financière), même pas du chef de blanchiment de l’argent provenant d’un crime de guerre, ou de crime contre l’humanité.

D’autre part parce que la définition du crime contre l’humanité ne couvre pas les cas de crimes économiques et sociaux : il est caractérisé comme un acte portant atteinte à l’intégrité physique et mentale d’une population civile commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre cette population , en temps de paix ou en en temps de guerre .

Si le G20 voulait vraiment être efficace, il déciderait de compléter la réforme en cours du traité fondant la Cour Pénale Internationale en élargissant sa compétence à la poursuite des sociétés en lien avec des personnes physiques poursuivis pour crimes de guerre ou crime contre l’humanité ; en créant de nouvelles catégories de crimes contre l’humanité ( en cas de violation très grave et à portée planétaire des droits économiques et sociaux) ; et en organisant des actions en responsabilité civile pour les dommages causés par des sociétés ayant méconnu , où que ce soit dans le monde, les règles posées par la Charte des Droits de l’Homme des Nations Unies et par l’Organisation Internationale du Travail et les règles, qui restent à définir, contre la spéculation financière. On pourrait aussi, pour atteindre le même but, au lieu d’étendre la compétence de la Cour Pénale Internationale, créer une nouvelle cour supranationale, un Tribunal Economique et Financier International, qui construirait sa propre jurisprudence pour ces crimes et délits nouveaux, en tenant compte des nécessités de progresser vers une globalisation de l’Etat de droit, pour équilibrer la globalisation des marchés.

Naturellement, l’intérêt principal d’un tel tribunal, comme de la Cour Pénale Internationale, serait d’être dissuasif : plus un chef d’Etat n’est à l’abri aujourd’hui de ses crimes politiques et il doit en aller de même pour les auteurs de crimes économiques et financiers. Cela permettrait aussi d’éviter de rejeter sur tous la responsabilité des crimes de quelques uns et de transformer le système financier dans son ensemble en bouc émissaire de la crise.

Tout cela, naturellement, est du règne de l’utopie. Mais c’est par des utopies que l’humanité avance. Et c’est seulement en les réalisant avant les catastrophes, qu’elle peut espérer les éviter.