Le  rapprochement qui  vient d’etre  annoncé entre Sun et Oracle est en apparence  une très grande surprise :   Pourquoi  le numéro 1 mondial du  logiciel rachète-t-il le numéro 4 mondial des serveurs ?   Jusqu’ici  personne ne pensait que les logiciels et les machines pouvaient s’intégrer dans la même entreprise. Chacun pensait, en particulier que Oracle et Sun avaient intérêt à travailler avec tous les autres : Oracle a intérêt à travailler avec les autres fabricants de serveurs, comme HP,  Cisco,  Huawei ;  et Sun à travailler  avec les autres fabricants de logiciels comme   Microsoft et SAP.  Et si un accord était attendu, tout le monde s’attendait plutôt à voir Sun s’intégrer avec IBM, qui fournit la base des logiciels libres et en conseille l’usage.  Alors, pourquoi cet accord, et  en quoi est-il  important ? Parce qu’il  annonce une toute nouvelle forme d’évolution du monde du numérique, et de l’organisation des entreprises

D’abord, parce qu’il sera de plus en plus difficile de distinguer le hardware et le software. Les deux seront de plus en plus intégrés.  Et que l’avenir, dans ce secteur, est à une entreprise intégrée, qui offre tous les services dans le  domaine du numérique de la machine au logiciel, « de la base de données jusqu’aux disques ».   Ensuite, parce que  Oracle  achète ainsi deux logiciels majeurs : Java et Solaris, qui sont l’un et l’autre essentiels aux logiciels d’Oracle. Java est un langage essentiel pour la construction de logiciels. Et Solaris est un système d’exploitation, comme Windows et Linux .

Enfin, et peut etre surtout, parce que cela ouvre à ce qu’on appelle le Cloud computing, grande révolution de demain, sans doute la raison profonde de cette alliance : il existe des millions de serveurs dans les entreprises, les particuliers, mais aussi les consoles de jeux et que leur puissance de calcul n’est utilisée qu’à 10%. Si on arrive à les mettre en réseau, si on arrive à connecter ces serveurs, on pourrait utiliser toutes ces machines en même temps.  Comme le font les gens qui téléchargent  de la musique en se branchant sur les ordinateurs des autres, le  cloud computing, c’est le PtoP, (que la loi Hadopi prétend interdire),  généralisé aux   entreprises.  C’est un marché de plusieurs centaines de milliards de dollars, qui  bouleversera l’industrie des logiciels : plus besoin d’en installer un sur l’ordinateur, si on peut en utiliser un en ligne. Et en  regroupant logiciels et serveurs, Oracle et Sun s’y préparent avant les autres.

Les  autres vont bouger très vite. D’abord, tous les concurrents d’Oracle vont expliquer qu’il y a un risque de voir Oracle s’approprier tous les travaux des développeurs indépendants sur Java.  En même temps, Microsoft, Google,  IBM se préparent à cette remise en cause du logiciel embarqué, et à la gratuité de son usage. IBM   devra trouver un partenaire technologique, qui lui permettra de garder son contrôle sur le logiciel libre.   Microsoft, Google, SAP, qui devra en faire autant, pour s’associer avec les autres géants des serveurs. Puis auront lieu aussi  des fusions de ces nouveaux groupes avec les autres acteurs du monde du numérique, ceux qui installent logiciels et serveurs dans les entreprises, ceux qu’on nomme les intégrateurs,  les  grands cabinets de conseil, qui  pourraient  s’intégrer avec les  fabricants de logiciels et de matériels, ce qui créeraient  des risques de conflits d’intérêt.   On peut aussi s’attendre à  de telles intégrations dans d’autres domaines voisins, par exemple  entre opérateurs téléphoniques et fabricants de téléphone, comme l’accord entre Nokia et Skype.

Au total,  dans la crise, vont s’accélérer les regroupements stratégiques, où les moins endettés vont acheter les plus faibles, créant des monopoles  de plus en plus américains. Et commence,   dans tous  les domaines de l’information, et pas seulement en musique,  une bataille entre la gratuité qu’impose la technologie et les nouveaux géants    mondiaux,  qui vont , pour en conserver la maitrise, adopter des rémunérations sous formes d’abonnement, et s’intégrer de plus en plus avec leurs sous traitant, avec leurs clients, et avec la  communauté des développeurs, dont ils dépendent. Cela ne sera plus une économie de marché classique, faite de rareté et de concurrence, mais une économie radicalement neuve, faite de gratuité et de coopération. Un tout nouveau monde commence.