On a vu récemment les forces les plus réactionnaires du pays s’unir pour s’inquiéter de ce que l’école de la république aurait osé remettre en cause les stéréotypes du masculin et du féminin, en y voyant la source de la destruction de la famille, et même, disent-ils, de la nation.

On a vu des gens croire au contenu de SMS envoyés par des officines fascisantes affirmant que l’Éducation nationale prônerait une soi-disant « théorie du genre », et enseignerait la masturbation dans les classes maternelles. On a vu des médias soi-disant sérieux prêter l’oreille à des rumeurs prétendant que l’école publique ferait l’apologie de l’homosexualité et mettrait les enfants en contact avec des homosexuels pour les faire douter de leur sexualité.

On a vu la gauche paniquer devant ces attaques, se déclarer prêt à renoncer à ce qu’elle a toujours défendu sur l’égalité des sexes, admettre que les calomnies étaient des vérités et finir par jurer ses grands dieux qu’elle était hostile à la théorie du genre.

Or, la théorie du genre, (n’en déplaise à certains, même ministres, qui ont employé cette expression), n’existe pas ; il existe bien sur des études sur le genre, qui explorent la manière dont le féminin et le masculin sont pensés et construits, de façon très différente, dans les diverses civilisations. Mais personne de sérieux, parmi ceux qui y travaillent, ne prétend pour autant en déduire une théorie du genre, qui affirmerait l’importance de sa négation.

L’alliance entre les intégristes religieux et l’extrême droite antisémite contre l’école publique, laïque et républicaine, ne doit pas intimider les démocrates. Enseigner l’égalité entre filles et garçons, ce n’est pas empiéter sur les prérogatives des familles, c’est lutter contre la cause profonde de la soumission des femmes au pouvoir ancestral des hommes. Aider les plus jeunes à comprendre ce qu’est la sexualité et à admettre que l’homosexualité n’est une tare ni pour les adultes, ni pour eux-mêmes, (si un jour ils découvrent que tel est leur destin), ce n’est pas faillir à la mission de l’école, c’est au contraire la remplir de la façon la plus républicaine.
Cette confrontation est inquiétante, parce qu’elle révèle que les démocraties, minées par le chômage et la récession, ne croient plus avec assez de force à leurs propres valeurs, et qu’elles n’ont plus le courage de mener le vieux débat entre égalité et uniformité.

Ceux qui s’opposent à l’égalité font tout, en fait, pour faire croire qu’elle conduit inévitablement l’uniformité. Vieille ruse : ceux qui veulent conserver leurs privilèges veulent toujours faire croire que leur remise en cause entrainerait la ruine de tous. Et ici, ceux qui s’opposent à la remise en cause de la position dominante des hommes veulent faire croire que les fondements de nos sociétés en seraient détruits.

Il est donc essentiel, si on veut sauver la démocratie, de ne pas laisser croire à ce mauvais genre de théorie, de ne pas céder à cette intimidation.

De fait, l’égalité de tous les êtres humains, quel que soit leur genre, est un objectif incontournable : chacun a un égal droit au bonheur, au succès, à la liberté. Par contre, l’uniformité est évidemment un cauchemar, comme l’a montré l’échec de toutes les sociétés totalitaires. Et il ne faut pas croire, ni faire croire, que la recherche de l’égalité, par la remise en cause des privilèges, conduirait inévitablement à l’uniformité.

Par exemple, la revendication d’égalité des femmes, qui veulent, à juste titre se débarrasser des servitudes propres à leur sexe, ne conduit pas nécessairement la disparition de la différenciation des sexes ; une petite fille a le droit de comprendre comment on l’enferme trop souvent dans des rôles de soumission, par la seule force des jeux et des jouets qui lui sont dévolus ; elle a le droit d’apprendre à y échapper. De même, un petit garçon a le droit d’aimer, et de pratiquer, des jeux culturellement réservés aux petites filles, sans devenir pour cela nécessairement l’objet des quolibets de son entourage. Il est essentiel de faire en sorte qu’il soit possible d’être égaux et différents.

Plus même : plus les gens sont égaux, plus ils ont de chances de choisir des voies qui leurs sont propres, et donc de devenir différents. Et plus aisé il sera de s’opposer à l’uniformisation de la sexualité, que pourrait entrainer l’évolution des technologies.

L’égalité est la meilleure source de la diversité ; telle est la grandeur de la démocratie. Encore faut-il avoir le courage de la défendre.

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