La vérité fonctionne comme un pouvoir, parce qu’elle impose ses diktats, plus implacables encore que ceux des dictateurs les plus puissants.

Ainsi des lois scientifiques, indiscutables parce que vérifiées par l’experience, telle la rotondité de la Terre, la force de la  pesanteur, ou la relation entre l’énergie, la masse et la vitesse de la lumière ; ces  lois,  même si elles sont faites pour être dépassées par des lois plus générales, fonctionnent comme des contraintes : nul ne peut les contredire ni leur désobéir.

Ainsi aussi des statistiques, résultats indiscutables de mesures et d’observation, qui nous fournissent chaque jour, en quantité plus nombreuse, des données  irréfutables sur l’état de notre monde.

Ainsi encore des doctrines, idéologiques ou religieuses, qui, même si elles obéissent à un autre critère de vrai, celui de la révélation, fonctionnent elles aussi comme des pouvoirs.

Pour certains, ces quatre vérités (scientifique, statistique, idéologique et religieuse), ne peuvent que se rejoindre sans se contredire ; pour d’autres, elles ne peuvent que s’opposer ; pour d’autres enfin, c’est la notion même de vérité qui est intolérable, comme l’est toute autorité.

En particulier, dans l’Occident d’aujourd’hui, où tous les pouvoirs sont mal vus, beaucoup poussent désormais le gout de la liberté jusqu’à refuser la contrainte du réel ; et  les vérités, scientifique et statistique, sont  désormais considérées comme des pouvoirs et violemment contestées, au nom du refus même de toute contrainte.

Ainsi peut-on comprendre pourquoi, aux Etats-Unis et ailleurs, des millions de gens rejettent désormais les faits et les lois qui en découlent, même les moins discutables. En particulier, les innombrables mensonges proférés par Donald Trump ne l’ont pas empêché d’être élu. Au contraire même, beaucoup y ont vu de sa part une manifestation éclatante de sa soit disant révolte contre les élites.

Ce mouvement, qu’on désigne aujourd’hui aux Etats-Unis comme celui de la « post-vérité », n’est pas nouveau ; il n’est pas le produit des réseaux sociaux, qui ne sont que les véhicules du meilleur et du pire de ce  que les hommes veulent produire et échanger ; il n’est que la manifestation la plus récente, en chacun de nous, de l’attitude de tous les dictateurs du passé et du présent, pour qui les mots veulent dire ce qu’eux, maitres du moment, décident qu’ils veulent dire, et qui ont toujours martyrisé ceux qui osaient proclamer des vérités qu’ils ne voulaient ni entendre ni laisser entendre.

Ce déni du vrai, imposé par un dictateur ou voulu par un peuple, se termine toujours par une catastrophe ; car la vérité finit toujours  par imposer ses lois. En attendant, ce déni aura fait beaucoup de mal aux hommes. Et plus la vérité tarde à s’imposer, plus la catastrophe est grande et les dégâts considérables. Ainsi, par exemple, plus le nouveau président américain tardera à reconnaitre l’influence déterminante de l’activité humaine sur le changement climatique, plus le monde souffrira des conséquences de ses mensonges.

Alors, il faut, malgré les désillusions et les défaites, se battre sans relâche pour faire reconnaitre l’universalité de la méthode scientifique, qui a donné à l’humanité l’essentiel des moyens dont elle dispose aujourd’hui ; il faudra continuer à corriger les erreurs et les mensonges, à faire connaitre les faits comme ils sont et non comme on voudrait qu’ils soient.

La vraie liberté suppose de reconnaitre les contraintes qu’impose le réel et de s’en servir pour progresser.