Les Français ont une relation particulière avec le cinéma, qu’ils ont inventé : ils voient beaucoup de films en salle (plus de 200 millions d’entrées en 2011) ; ils en produisent un très grand nombre (plus de 200 en 2011) ; ils les exportent ; on vient de partout tourner en France ; et c’est en France qu’a lieu le plus grand festival de cinéma du monde, qui est aussi le premier marché du monde.

Les Français tournent surtout des films d’auteur et des comédies, avec des ressorts très français : faire rire de nos différences (régionales, sociales, culturelles), pour mieux les tolérer, avec parfois, aussi, des films fous, comme the Artist, un hommage à Hollywood qui ne pouvait manquer d’être apprécié par les Américains. Et même, maintenant, des films à grand spectacle, et des films politiques. Sans compter les séries, les clips, les films publicitaires que commandent les chaines de télévision et les agences de publicité.

Au total, cette industrie est numéro 2 mondial, malgré l’étroitesse du marché francophone, grâce à un modèle très original, niant les principes de base de l’économie concurrentielle, favorisant la production et la diffusion de films français, financé par l’argent des contribuables, et organisant une savante chronologie de la diffusion, d’abord en salle, puis en dvd et dans les différents réseaux de télévision, cryptés et en clair.

Mais, est ce durable ? Pour le talent, nul ne saurait dire, il est imprévisible. Pour ce qui est du modèle de production, on peut être plus inquiet.

En fait, l’économie du cinéma est en train de changer, comme a changé celle de la musique. L’accès en est maintenant de plus en plus facile, sur divers canaux, de la télévision aux ipad, aux consoles et aux téléphones, avec le téléchargement et le streaming, légal ou non. En musique, les majors, crispées sur leurs succès, sont mortes, ou moribondes, de ne pas avoir anticipé ces changements, pour ne pas avoir cherché de nouveaux produits, de nouveaux modèles de diffusion.

L’industrie du cinéma se pense à l’abri de cette évolution. D’abord parce que, à la différence de la musique, le cinéma offre des sensations différentes en salle que sur un appareil nomade. Ensuite parce que l’efficacité des barrières mises en place lui donne une sensation d’invincibilité.

La musique avait la même sensation, en accordant les mêmes privilèges à la musique française, qui n’ont pas suffit. De même, pour le cinéma : les tentatives de type Hadopi ou Acta n’empêcheront pas, à terme, de télécharger ou de regarder en streaming les films et les séries les plus récentes.

Bien sûr, il pourra tenter de retarder son déclin en réclamant des mesures punitives. Cela ne suffira pas : le streaming est irrésistible. Il faudra donc réinventer un mode de financement, fondé sur l’autorisation du téléchargement, considéré comme un abonnement, financé par un prélèvement sur tous les acteurs de la chaîne de diffusion, des fournisseurs d’accès aux producteurs de matériel nomade. Seuls tiendront en salle les films qui offriront des sensations vraiment uniques, tels les films en 3D. Avec le triplement à venir du nombre de francophones, le marché français des produits audiovisuels aura un très bel avenir devant lui.

Osera-t-il ? Difficile à croire, quand on le voit se congratuler, sans réfléchir à son avenir, entièrement entre les mains de quelques personnes, de grand talent pour la plupart, mais dont aucun n’a intérêt à anticiper les changements à venir.

Réforme-t-on plus facilement en période de croissance que pendant une crise ? En France, la question ne concerne pas que le cinéma.