L’Allemagne et la France se sont trouvées à quatre reprises en un siècle, chacune à son tour, en situation de pouvoir, par des décisions absurdes, ou honteuses, transformer l’Europe en un champ de ruines. Et elles l’ont fait. En 1914, toutes les deux ont participé à l’engrenage qui a conduit à la première guerre mondiale. En 1919, c’est la France qui a pris la mauvaise décision en exigeant de l’Allemagne qu’elle paie le prix de la guerre. En 1933, c’est l’Allemagne qui a pris le mauvais chemin en choisissant Hitler comme chancelier. En 1936, c’est la France qui commit l’erreur de laisser le Führer réoccuper la Ruhr, ouvrant la voie à la deuxième tragédie siècle. A chaque fois, une autre décision était possible, qui aurait fait du vingtième siècle un temps d’abondance.

Aujourd’hui, c’est de nouveau au tour de l’Allemagne de tenir dans sa main l’arme du suicide collectif du continent le plus avancé du monde : si elle refuse d’accepter le chemin étroit qui passe par le rachat par la BCE des obligations arrivées à maturité, suivi de l’émission d’une dette souveraine européenne, remboursée par deux points de TVA européenne et d’une réforme des traités permettant de mieux contrôler les laxismes des uns et les égoïsmes des autres, la catastrophe aura lieu.

Pour que Berlin ne soit pas, une fois de plus, responsable d’un suicide européen, l’Allemagne doit sortir de trois illusions :

1. Elle n’est pas le bon élève de l’Union, qui refuse de payer pour les erreurs des autres. Sa dette publique est de 82% du PIB, pratiquement égale à la dette française ; dix de ses banques, toutes publiques, qui fournissent 20% des crédits au secteur non financier allemand, sont en très mauvaise situation. Sa consommation d’énergie dépendra de plus en plus du gaz russe, qui représente 37% de ses importations. Sa démographie est catastrophique au point que, en 2060, il y aura moins d’Allemands que de Français et que 44% de la population allemande aura plus de 65 ans contre seulement 35% en France, ce qui rendra particulièrement difficile le remboursement de la dette publique allemande. Enfin l’avenir de l’industrie allemande n’est pas si prometteur qu’elle le croit : selon une récente étude anglaise, sur les 100 entreprises les plus innovantes du monde, 11 sont françaises et seulement 4 sont allemandes.

2. Elle est le premier bénéficiaire de l’Union européenne, qui a financé en partie sa réunification, et lui a permis de gagner près de 15 points de parts de marché à l’intérieur de la zone euro et de devenir le premier pays exportateur de produits agroalimentaires en recrutant du personnel venu de l’Est de l’Europe au tarif de ces pays, ce que la France ne veut et ne peut faire.

3. Elle a tout à perdre à sortir de la zone euro, qui ruinerait son système bancaire et lui couterait, selon une étude suisse, de 20 à 25% de son PIB la première année et la moitié chacune des années suivantes.

4. Elle croit à tort qu’un soutien provisoire de la BCE à la liquidité des banques et des Etats européens entrainerait une inflation massive, qui ruinera ses vieux, majoritaires, alors qu’il ne peut y avoir d’inflation massive quand le chômage est aussi élevé et quand la financiarisation de l’économie freine la transmission de la monnaie vers l’économie réelle.

Lueur d’espoir : à lire les toutes dernières déclarations de la Chancelière, et le programme de son parti approuvé le 15 novembre (souhaitant une évolution vers un fédéralisme européen, et laissant entendre qu’elle pourrait accepter de faire de la Banque Centrale Européenne le garant de dernier recours), il semble que l’Allemagne se prépare à reconnaître ces évidences. Il appartient maintenant à la France de la prendre au mot. Tout est encore possible.