A regarder les émissions de télévision à succès, comme à lire les prix littéraires de cette année, on a le sentiment qu’une immense nostalgie s’est emparée de la France : on aime nos rois, nos reines, nos combats, même perdus, nos musées et nos châteaux. Cet engouement dit avec précision : « Tout était mieux avant».

Ce sentiment, qu’on peut comprendre chez ceux qui se pensent dans l’hiver de leur vie, prend un tout autre sens chez les plus jeunes, révélant un grand pessimisme sur l’avenir. Il conduit à penser que, puisque rien ne peut, dans l’avenir, être mieux que le passé, tout projet de vie doit se concentrer sur la restauration de la grandeur antérieure, ou au moins sur la conservation des avantages acquis et au refus de tout risque et de toute innovation. C’est ainsi qu’il faut lire, en particulier, le programme politique du Front national :  » Les élites dirigeantes font fausse route. Il n’y a pas de meilleur avenir possible que le passé ».

Cette attitude n’est pas spécialement française : la crise aidant, on la trouve, dans bien d’autres lieux et configurations : En Russie, nostalgique de la puissance de l’Union soviétique, qui elle-même s’inscrivait dans celle de Pierre le Grand. En Israël, où certains extrémistes, malheureusement maintenant au pouvoir, rêvent d’un grand Israël reconstruisant le temple de Jérusalem à la place des mosquées. En Mésopotamie, où Daesh se veut le retour du Califat tel qu’il existait dans la région au 9ème siècle. En Turquie, où le président Erdogan parle de plus en plus explicitement de la restauration de l’Empire Ottoman. En Chine, où le président Xi se donne comme objectif prioritaire le retour de Taiwan dans le giron de l’Empire du Milieu.

Toutes ses nostalgies sont suicidaires : rêver au monde d’avant c’est retourner au nationalisme autodestructeur, par l’isolement qu’il implique ; c’est s’installer dans une attitude belliqueuse, niant l’intérêt des voisins.

Le passé est une source d’inspiration, une nourriture de l’imaginaire, un fondement de l’identité sans cesse en devenir ; mais il n’est jamais un avenir.

S’y enfermer conduirait à la tragédie, d’abord pour les autres, puis pour soi-même, comme ce fut le cas, par exemple, avec le 3ème Reich allemand. Si les anciennes grandes puissances continuent de rêver ainsi sans imagination, l’avenir appartiendra aux peuples sans nostalgie et aux nations neuves, ou, au moins, très différentes aujourd’hui de celles qui pouvaient exister antérieurement sur le même territoire. Cela renforce la prédiction d’un avenir florissant pour le Brésil, l’Inde, le Mexique, l’Indonésie, le Nigeria, l’Éthiopie. Et évidemment, pour les États-Unis, dont l’amnésie est un des moteurs.

S’oublier pour survivre ? Pas nécessairement. Et chacun peut résoudre ce dilemme, en se pensant comme un adulte en devenir.

La France, en particulier, ne peut retrouver le chemin de la croissance que si elle renonçait au poison mortel des commémorations, en général à contresens (quelle absurdité ce fut que de fêter en 2014 le centenaire du 11 novembre 1918 !).

Et si on osait y débattre, dans des livres, des émissions de télévision et de discours d’hommes publics de ce que peut devenir la France dans 30 ans, pour en faire une forme nouvelle de sa grandeur passée.

30 ans, ce n’est pas un horizon si lointain : statistiquement, les deux tiers des vivants d’aujourd’hui seront encore là en 2045…
Cela vaut donc la peine de s’y intéresser.