L’Amérique du Nord, comme l’Europe et une partie de l’Asie,  sont de nouveau plongées dans un hiver rigoureux. Cela devrait nous rappeler que, si la sècheresse est ce qu’on redoute le plus,  le réchauffement climatique ne signifie pas la fin de l’hiver, mais l’aggravation des  écarts  saisonniers de températures : nous allons avoir à vivre avec plus de froid ET  plus de chaleur. Comme, plus généralement, nous aurons à vivre avec plus de moyens de faire le bien ET plus de moyens de faire le mal.

Cela devrait aussi nous montrer que, si les  conséquences de la chaleur extrême sont mieux connues que celle du froid extrême (il n’y a d’ailleurs même pas de mot pour désigner le symétrique de la sécheresse), la sévérité d’un hiver nous dit bien des choses sur ce que nous sommes, qu’il serait bon d’entendre.

D’une part,  cela nous rappelle, que le froid tue un grand nombre de gens : les sans-abris, les personnes fragiles, les victimes d’accidents.

D’autre part cela nous démontre que, s’ils ne se sont pas préparés à ces températures nouvelles, des pays  entiers vivront des  désordres  immenses, comme c’est le cas aujourd’hui, par exemple, en Turquie. Ceux qui l’auraient oublié comprendront mieux ainsi l’importance d’avoir des services publics qui fonctionnent,   des moyens de défense et de réparation à disposition pour toutes circonstances, même celles  qui se produisent très exceptionnellement. Cela devrait  même constituer un des critères  essentiels de la qualité d’une société que de savoir si elle est prête à réagir efficacement à des risques improbables.

Et là, le verdict rendu par les faits, en cas de grave refroidissement,  est impitoyable :

Nos sociétés développées disposent de tous les moyens nécessaires  pour maintenir en état nos infrastructures matérielles, et   pour que les classes moyennes et supérieures passent au mieux l’hiver : les centrales électriques fonctionnent, les appartements et les bureaux sont chauffés,  les routes sont dégagées, les voitures peuvent circuler,  les avions sont dégivrés, les trains peuvent rouler, les urgences des  principaux hôpitaux disposent des plateaux techniques adéquats, les campagnes de vaccination sont faites à temps.

Par contre,   nos sociétés  font  très peu pour les faibles, et presque rien pour les très faibles.

Elles font  très peu pour les personnes âgées dans les maisons de retraite, lorsqu’elles sont oubliées de leurs familles. Et   presque rien pour les sans-abris, honteusement laissés à la rue.

Comment peut-on tolérer qu’une lycéenne dorme dans la rue ?  Qu’une femme et son bébé ne trouvent pas un abri ?  Qu’un homme en pleine force de l’âge soit obligé de se calfeutrer dans des cartons ? Comment abandonner ainsi à leur sort à  des gens, français ou étrangers, en situation régulière ou pas ?

Comment peut-on tolérer que, même si on les abrite, sporadiquement, grâce en particulier  à l’action de magnifiques bénévoles, rien, absolument rien, ne soit pensé pour aider ces gens-là à ne plus avoir à tendre la main,  de nouveau, la nuit suivante. Pourquoi rien n’est-il  fait pour aider tous ces gens à ne pas dépendre de la charité, en leur fournissant plus qu’un toit de passage, c’est-à-dire une véritable formation, une orientation,  un métier et les moyens de trouver, ou de créer, un emploi.

Telle devrait etre la fonction  essentielle  de l’Etat au 21ème siècle, à l’égard des plus démunis :   ne pas se contenter de les assister dans l’urgence,  mais créer les conditions pour  qu’ils n’aient plus besoin d’assistance ; les  traiter en adultes, enfin.