La campagne pour l’élection présidentielle française entre dans une nouvelle phase, pas nécessairement plus constructive que les précédentes. Après des mois d’opposition entre les personnes, de petites phrases, de chasse aux parrainages et de trahisons, les candidats publient progressivement des programmes, en bloc ou par bribes, sous forme de livres, de fiches, de recueils de discours ou de textes rendus publics sur ­Internet. A les entendre, on a l’impression que certains d’entre eux considèrent ces textes comme des figures imposées, des documents sans importance, à oublier à peine ­publiés.

Il ne faut pas les laisser enterrer les débats ; ni revenir à leurs petites phrases et à leurs alliances de circonstance. Le moment est au contraire venu de les prendre au mot et de les interpeller sérieusement sur leurs programmes. En les soumettant au moins aux dix groupes de questions suivants :

1. Quelle est votre vision du monde ? Pensez-vous qu’il est dominé par les risques de guerre ? de crises économiques ? de vagues terroristes ? par les mouvements migratoires ? les dangers climatiques ?

2. Quelle est votre analyse de la situation de la France ? Pensez-vous que le pays est en déclin ? Quels sont ses points forts ?

3. Que voudriez-vous que la France soit dans dix ans ? dans vingt ans ? Donnez des chiffres précis.

4. Proposerez-vous ou refuserez-vous un référendum sur l’appartenance de la France à la zone euro ? à l’Union européenne ?

5. Qu’est-ce pour vous que l’identité française ? Que souhaitez-vous qu’elle devienne ?

6. Voudriez-vous gouverner par ordonnances ou en prenant le temps de débattre au Parlement ?

7. Quelles réformes institutionnelles êtes-vous prêt à proposer ? Réduire le nombre d’élus ? de mandats ? de collectivités territoriales ?

8. Que proposez-vous pour les sujets clefs que sont l’éducation, la santé, l’industrie, la police, la laïcité, la défense, la justice, les finances publiques, les retraites, l’agriculture, le droit du travail, le pouvoir des syndicats et l’emploi ?

9. Que proposez-vous pour des sujets tout aussi ­essentiels, mais trop souvent oubliés : la culture, l’outre-mer, la francophonie, les zones urbaines, les handicaps ?

10. Le chiffrage de votre programme est-il complet ? Par quelles recettes fiscales équilibrez-vous les dépenses nouvelles que vous proposez ? Etes-vous prêt à accepter une aggravation durable des déficits et de la dette publique, ou considérez-vous qu’il est important de les réduire ?

Si on ne leur pose pas ces questions, d’une façon insistante, ils réduiront vite leurs programmes à des slogans, soigneusement choisis pour viser une clientèle définie par le marketing de leurs conseillers en communication. Alors, l’élection présidentielle, une fois de plus, se jouera sur de petites phrases vides de sens, ou sur des apparences : s’il n’y a pas d’attentat ou d’événements tragiques avant avril 2017, les Français éliront un homme ou une femme nouvelle, juste pour se débarrasser d’une classe politique honnie et pour se prouver à eux-mêmes que tout peut changer. Si, au contraire, il y a un attentat important ou un accident historique, ils éliront quelqu’un ayant déjà été président ou Premier ministre, pour se prouver à eux-mêmes que tout peut continuer comme avant. Les candidats auront fait semblant d’avoir des programmes, comme le vainqueur fera, un peu plus tard, semblant d’être un homme d’Etat.

Le pays, lui, ne fera pas semblant d’être très en colère.