Un des effets les plus inattendus et les plus intéressants de la crise chypriote aura été de mettre en lumière le rôle que commencent à jouer, et que  joueront de plus en plus, les monnaies virtuelles, dans la formidable évolution de la finance  moderne, pour le meilleur et pour le pire.

Créées depuis  plus d’une  vingtaine  d’années, leur premier rôle était de  permettre d’attribuer des biens spécifiques,  rendus disponibles par des programmes de fidélités ( des miles) ;  puis, de permettre à un joueur de jeu vidéo  d’acheter des armes  pour  un jeu de combat ou des accessoires pour  un jeu de construction .

Ces monnaie virtuelle peuvent être obtenues en récompense de progrès dans le jeu  ou en en acquérant auprès d’un vendeur, contre de la monnaie réelle.  Elles sont rarement  transférables (je ne peux pas donner mes miles à qui je veux) et encore moins utilisables pour acheter ailleurs que sur une liste précise de fournisseurs, sinon par la mise en réseau de  plusieurs fournisseurs de points de fidélité entre eux et avec des émetteurs de cartes de crédit.

Ce qui se joue cette semaine avec l’une d’entre elle, le bitcoin, est particulièrement intéressante.  Conçu en 2009  par un inconnu, au  pseudonyme japonais, Satoshi Sakamoto, le bitcoin s’échange  sans frais contre des dollars, en Peer to Peer,  (en particulier sur les sites BitPay   et   Mt.Gox) à un cours fluctuant.  Il permet d’acheter des biens sur un grand nombre de jeux vidéo,  chez plus de 1000 e-commerçants   (le site de blogging wordpress, le gestionnaire de noms de domaine namecheap),  dans des hotels, des restaurants  et même chez  Amazone, sur le modèle de Paypal.  Son encours semble dépasser  aujourd’hui le milliard de dollars. Il est émis en faveur de ceux qui veulent bien prendre en charge, avec un   programme open-source, une partie des calculs de validation des transactions.  Le  système converge vers une masse monétaire maximale de 21 millions de bitcoins qui devrait être atteinte en 2140, ce qui vaudra, au cours actuel, plus de deux milliards de dollars.

Ce système ouvre à d’énormes perspectives pour ceux qui recherchent de nouveaux moyens de paiement,  en particulier là où il n’y a pas de système bancaire.   Le Kenya a déjà mis en place des monnaies parallèles telles que le M-Pesa,   comme  un concurrent de Paypal,  et de  Western Union.

Ces monnaies ouvrent  cependant à  deux dérives dangereuses, qu’on connait déjà pour le reste du système financier :

D’abord, il  est un lieu de spéculation extrême : fin 2011,   le cours du bitcoin est passé  de 2$ à 30$  en quelques jours,  pour retomber très vite  à 14 $. Très récemment, le 10 avril 2013, en pleine crise chypriote,   il a explosé  de nouveau à 266$  (sans doute pour blanchir une partie de l’argent douteux placé dans les banques de l’ile)  puis pour retomber très vite à 100 $.

Ensuite, son anonymat favorise son usage pour des usages criminels comme le commerce de drogues, d’armes, et autres services sexuels.

Plus encore, de telles monnaies révèlent que la création monétaire n’est plus le monopole des Etats. Elles  pourront même être créées par des entreprises, des collectivités locales,  des ONG, des mouvements terroristes.

La monnaie devient une marchandise comme une autre. Si on ne réglemente pas ces instruments,  le pire est certain. Si on les domestique, ils peuvent être  source d’abondance nouvelle.

j@attali.com