Rien n’est plus révélateur des mentalités d’un pays que son attitude à l’égard du logement. En France, la propriété est sacrée, et le logement reste rare, et cher. Bien plus cher qu’ailleurs en Europe.

Ainsi, le loyer mensuel moyen est de 25 €/m2 à Paris, contre moins de 6 € à Berlin ; il est de 12 €/m2 à Bordeaux et Toulouse, contre moins de 8 € dans les grandes villes de province allemandes. A l’achat, le prix au m2 est de l’ordre de 8.300 € à Paris, contre moins de 5.000 € à Berlin ; et les différences sont de même ordre entre les autres villes. En conséquence, en Allemagne un revenu mensuel de l’ordre de 1000 € permet à un salarié de se loger décemment. Pas en France, où le cout annuel du logement est en moyenne de 4 600 € pour ceux qui sont propriétaires sans emprunt, 5.400 € pour les locataires en secteur HLM, 7.500 € pour les locataires du secteur libre et 13.700 € pour ceux qui ont emprunté pour acheter. En conséquence, il est aujourd’hui devenu pratiquement impossible à un jeune qui travaille à Paris de s’y loger décemment.

Plus généralement, plus le logement est cher, à louer ou à acheter, plus les salaires doivent être élevés et moins l’économie est compétitive. Cet impact de la valeur d’un patrimoine sur le cout du travail est d’ailleurs une cause majeure, et trop négligée, de la perte de compétitivité de la France.

Le préalable à toute reconquête économique devrait donc reposer sur la baisse du coût du logement. Et pour cela, il faut d’abord en comprendre la principale cause : il n’y pas assez de terrains constructibles ; parce que les activités économiques sont concentrées dans un trop petit nombre de villes, et en particulier à Paris ; parce que l’aide publique au logement est trop orientée vers la demande et pas assez vers l’offre ; enfin parce que la demande augmente avec la croissance démographique : la France a gagné 10 millions d’habitants depuis l’an 2000 quand l’Allemagne commençait à en perdre.

Le projet de loi actuellement en débat au parlement pour l’Accès au logement et un urbanisme rénové (Alur), animé des meilleures intentions, va en fait aggraver la situation, en rendant plus difficile encore la construction de logements neufs. Il prévoit en effet la garantie universelle des loyers (financée à parité par les locataires et les propriétaires via une cotisation sur le loyer), la réforme de l’attribution des logements sociaux, l’encadrement des loyers, le transfert aux intercommunalités des compétences d’urbanisme et des permis de construire et l’encadrement des professions immobilières. Avec une telle loi, tout le secteur de la construction locative va être sinistré et aucun espace nouveau de construction ne sera dégagé.

Là comme ailleurs, il faudrait oser faire ce que chacun sait nécessaire et que personne n’ose proposer : encourager durablement la croissance de l’offre de logements, et pour cela rendre le pouvoir sur le foncier à l’Etat, seul capable de créer de l’espace constructible sans conflit d’intérêt. Par exemple, à Paris, il suffirait, pour libérer massivement des espaces constructibles, de faire sauter la règle absurde et malthusienne qui y limite aujourd’hui à 21 mètres la hauteur des immeubles. Si on le faisait, en protégeant évidemment les quartiers les plus emblématiques, et en choisissant aux mieux les architectes, on pourrait faire baisser considérablement le prix des logements et redonner vie à la ville. Ceux qui y sont propriétaires pour y habiter n’y perdraient rien puisqu’un logement n’a qu’une valeur de troc. Seuls y perdraient ceux qui ont construit pour louer, et les maires qui pourraient voir avec méfiance arriver des électeurs nouveaux. Cela pourrait être fait dans toutes les villes. Mais comment imaginer qu’un parlement entièrement entre les mains des élus locaux pourrait le décider ?

On pourrait même penser, même si c’est encore plus illusoire, à une réforme beaucoup plus majeure encore, et qui aurait un impact énorme sur la compétitivité française : délocaliser progressivement une grande partie des administrations centrales et régionales tout au long de la vallée de la Seine, jusqu’au Havre. Cela libérerait une emprise foncière considérable en région parisienne et ferait baisser les prix du logement de l’immobilier commercial. Paris pourrait alors se penser comme la capitale économique et culturelle de l’Europe, allant jusqu’à la mer.

Ce serait bien plus utile qu’une nouvelle loi technocratique et aux effets pervers assurés. Mais, que tous les rentiers se rassurent : qui que ce soit qui gouverne, rien de tout cela n’aura lieu.

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