Un Président laisse une trace par l’action qu’il mène, et/ou par la façon dont il gère des problèmes auxquels il est mêlé par le hasard de l’Histoire. Dans les deux cas, c’est en pensant en permanence à ce qui restera de lui dans trente ans qu’il est le plus utile au pays : vouloir laisser une trace n’est donc pas un acte mégalomaniaque et égoïste ; c’est au contraire le meilleur critère de jugement de ce qu’il convient de faire pour servir les intérêts à long terme du peuple.

Plus précisément, il existe, pour un dirigeant politique , 5 façons de laisser une trace :
1. Mener une guerre ou affronter une situation tragique : on ne peut qu’espérer que l’actuel président, ni ses successeurs, n’auront pas à démontrer leur lucidité et leur courage dans ce genre d’épreuves, militaire ou terroriste. Il leur appartient cependant d’y préparer les Français en leur parlant sans cesse des dangers du monde, en même temps que de ses potentialités, et en veillant à renforcer nos armées, en particulier avec les armes de l’avenir, tant négligées.

2. Articuler clairement un projet de société, capable de donner du sens à l’histoire d’un peuple, bien au-delà d’un mandat. Un projet clairement tourné vers les générations futures ; un projet socialement et écologiquement altruiste. Le président Kennedy l’avait réussi et on a pour cela gardé le souvenir de sa présidence tragiquement météorique.

3. Mener des réformes vraiment profondes de la société française, en disant son ambition. Par exemple, aujourd’hui, en faisant de l’accès à la connaissance, de tous et à tous âges, la priorité absolue de son mandat. Ou en entreprenant un grand balayage de l’ensemble de notre droit, pour en chasser les innombrables traces de machisme qui y restent encore.

4. Faire construire une nouvelle institution : Un bâtiment culturel est passé de mode. Par contre, un président resterait aujourd’hui dans l’Histoire s’il créait un Grand centre de recherches, de dimension mondiale, attirant les savants des cinq continents, financé par le privé et le public.

Par exemple dans le domaine des neurosciences, (incluant intelligence artificielle, biologie, biomimétisme, sciences de l’éducation), dont dépendra toute la croissance dans la deuxième moitié du 21ème siècle

Ou dans celui du climat : il n’existe aucun lieu physique, nulle part au monde, rassemblant tous ceux qui travaillent, dialoguent et se battent pour sauver le climat. Et Paris serait magnifiquement placé pour cela.

L’un et l’autre sont des urgences absolues. Et je crois plus important de tout faire pour bien accueillir des savants étrangers, plutôt que des patrons, éphémères et cyniques, de multinationales américaines, dont l’ambition unique est trop souvent le profit, sans aucune morale ni conviction civique. Et pour qui la France n’est qu’un terrain de chasse parmi d’autres.

5. Un grand projet international : A côté du projet européen, si désespérant, et en particulier de l’Europe de la sécurité, dont tout Président français doit se faire le champion, on devrait aussi voir lancer aujourd’hui un grand projet vers l’Afrique.

Comme le président chinois a lancé l’extraordinaire « Nouvelle Route de la Soie« , qui structure pour trente ans l’ambition internationale de la Chine, un président français devrait lancer une « Nouvelle Route de la Méditerranée » qui relierait l’Europe et l’Afrique, dans un projet à trente ans, au bénéfice de tous. On y ferait la carte, et la planification de toutes les infrastructures qui permettraient le développement conjoint de l’un et de l’autre continent. Sinon, c’est la nouvelle route de la soie qui le fera, et l’Europe, déjà moribonde, sera définitivement sortie de l’Histoire.

Si un pouvoir veut être utile, il doit créer les conditions pour qu’on se souvienne de lui avec gratitude et non pas en le maudissant. C’est vrai d’un Président de la République, comme d’un maire, d’un enseignant ou d’un parent : les uns et les autres ont la charge, d’une façon ou d’une autre, du destin des générations futures.

j@attali.com