Le débat sur les retraites en France va bien plus loin que celui, en cours, sur la nécessaire harmonisation des régimes spéciaux ; il porte sur un problème infiniment plus vaste, qu’on ne pourra pas éternellement éluder, celui de l’augmentation de l’âge moyen du monde.

Partout sur la planète en effet, (sauf, désormais, aux Etats-Unis) l’espérance de vie continue d’augmenter à grande vitesse, par la réduction de la mortalité infantile, l’amélioration générale des conditions de vie et d’alimentation, et l’efficacité croissante des systèmes de santé. En France en particulier, elle augmente de 2,5 à 3 mois par an depuis quarante ans ; et elle est aujourd’hui de dix ans supérieure à ce qu’elle était en 1981, quand l’âge de la retraite fut fixée à 60 ans. (ce qui revient à dire que, avant cette réforme, l’âge de la retraite était équivalent à ce qu’il serait s’il était fixé aujourd’hui à 75 ans !)

Comme, en plus, la natalité s’effondre presque partout, les plus âgés sont désormais majoritaires et pourraient exiger de recevoir des retraites de plus en plus élevées, pendant des périodes de plus en plus longues, au détriment de ceux qui travaillent et de ceux qui se forment. Au lieu de financer l’avenir, on financerait ainsi surtout le passé, pour le plus grand malheur des sociétés.

Cela ne peut pas durer ; on ne pourra à la fois maintenir le niveau des cotisations, le montant des retraites, et l’âge du départ à la retraite. Certaines de ces variables devront évoluer.

Augmenter les cotisations retraites, qu’elles soient privées ou publiques ne sera sûrement pas accepté, à un moment où les impôts et les charges atteignent des niveaux records.

Baisser le niveau des retraites n’est pas non plus possible, sauf, peut-être, pour les très hauts revenus, qui se sont déjà constitués un capital.

Augmenter le nombre de migrants, pour qu’ils financent nos retraites par leur travail, est encore moins possible : pour maintenir le ratio actuel entre les cotisants, (adultes de 20 à 60 ans ) , et les pensionnés ( personnes de plus de 60 ans ) , il faudrait en effet ( selon un rapport des Nations-Unies de 2001) accueillir en France chaque année 1.100 000 nouveaux migrants ; ce qui est d’autant plus absurde que ces migrants deviendront un jour des retraités, et qu’il faudrait donc faire venir de plus en plus de migrants pour financer les retraites de leurs prédécesseurs !

Reste l’allongement de la durée du travail. Elle est inévitable ; et la France n’y échappera pas, sauf évidemment pour ceux qui ont un travail pénible, qui devraient pouvoir même partir plus tôt qu’aujourd’hui. Par exemple, on pourrait décider que, tous les cinq ans, on augmente automatiquement la durée du travail du tiers de l’augmentation de l’espérance de vie pendant la même période.

C’est de cela qu’il faudrait commencer à débattre aujourd’hui, car ce ne sera pas un choix facile. Et les opinions publiques n’y sont pas prêtes.

Ce sera encore plus difficile dans les pays émergents qui vont vieillir avant d’avoir pu mettre en place des systèmes de retraites, quasiment inexistants en Afrique, et embryonnaires en Inde, en Chine, et en Asie du Sud.

Il faudra même aller plus loin. Comme la médecine démontre qu’une activité valorisante est nécessaire à la santé, il faudra créer les conditions pour que ceux qui quitteront (avec une retraite décente, un corps et un esprit en bonne forme), leur dernier travail rémunéré, contribuent encore à la société, dans leur propre intérêt. Et pour cela, il faudra les inciter, y compris financièrement, à participer plus encore qu’ils ne le font à la vie civique et associative, et à inventer de nouveaux métiers, d’accompagnement et de transmission.

Enfin, on peut rêver à un monde où le travail sera devenu si passionnant, si libre et libérateur, que beaucoup de gens, compétents et utiles, ne voudront plus prendre leur retraite, au-delà même de l’âge légal. Une toute autre organisation de la société se mettra alors en place. Elle commence. Si on s’y prépare bien, cela peut être formidablement libérateur pour tous.

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