Dans le monde entier, dans les démocraties les plus développées et en particulier en France, le peuple se trouve dans la même situation paradoxale : de moins en moins de gens s’occupent de politique et vont voter, alors que de plus en plus se plaignent de leur sort et reprochent aux hommes politiques de ne pas s’occuper d’eux.

Cette attitude de « résigné-réclamant », si généralisée et si absurde, gagne partout du terrain. Il devrait pourtant être clair aux yeux de tous que, moins on s’occupe de politique, moins les hommes politiques sont incités à veiller aux intérêts de ceux qui ne font pas l’effort d’aller voter ni même de prendre soin d’eux-mêmes. Alors, aux habitants privilégiés de ces démocraties , où il est loisible à chacun de prendre son propre destin en main et d’influer sur le sort collectif, je dis :

« Ne vous plaignez pas! »

1. Si vous ne vous occupez pas de vous-même, ne vous plaignez pas si votre vie ne ressemble pas à celle dont vous aviez rêvé. Personne ne peut faire en sorte que vous deveniez vous-même si vous ne faites pas l’effort d’emprunter le chemin qui peux vous y conduire, et de suivre les règles simples du « devenir-soi ».

2. Si vous ne vous occupez pas des autres, à commencer par vos propres enfants, vos parents, vos voisins, et aussi plus largement tous ceux dont le sort vous concerne ou influe sur le vôtre, directement ou indirectement, ne vous plaignez pas si, le jour venu, ils vous tournent le dos et vous clament leur mépris, s’ils ne sont pas là quand vous avez besoin d’eux. Ne vous plaignez pas si vous n’éprouvez pas le délicieux plaisir de rendre service, et en retour celui, tout aussi jubilatoire, d’être reconnaissant envers ceux qui vous aurons aidé à devenir vous-même.

3. Si vous ne votez pas, ne vous plaignez pas des choix que font les élus. En particulier, ne dites pas que les programmes de tous les partis sont identiques, qu’on a tout essayé et que voter ne sert à rien. Si vous ne votez pas, vous donnez en fait un bulletin double à ceux qui le font, vous leur abandonnez votre voix et ils choisissent pour vous des éléments essentiels de votre « devenir soi »: la sécurité, l’éducation, la santé… Ne vous plaignez pas du délabrement de l’école, des gaspillages d’argent public, des menaces qui pèsent sur notre système de santé, de l’insuffisance des moyens attribués aux forces de police et à l’armée.

4. Enfin, et plus encore, si vous ne faites pas vous-même de politique, si vous n’êtes membre d’aucun parti, si vous n’êtes jamais candidat à une investiture, ne vous plaignez pas de la qualité de la classe politique. Ne dites pas que les élus sont médiocres, intéressés, corrompus, ne dites pas qu’il y a trop de fonctionnaires parmi eux. Ne dites pas plus qu’ils manquent de courage et ne s’intéressent qu’à leur réélection, ou ne songent qu’à placer leurs proches à tous les postes. Ne dites pas non plus qu’ils gaspillent l’argent public. D’abord, parce que, pour la plupart d’entre eux, ces critiques sont injustes. Ensuite, parce que, si elles sont légitimes à l’encontre de quelques-uns, c’est de votre faute: vous n’essayez pas de faire vous-même de la politique, d’entrer dans un parti, d’être candidat, de contrôler les élus, et de le faire honnêtement, pour servir l’intérêt général, en particulier celui des prochaines générations.

Ne vous plaignez pas du monde: il est ce que vous en faites. Et surtout ce que vous n’en faites pas. Et ne rien faire est la pire façon d’agir. Suicidaire.

En particulier ne vous plaignez pas non plus des directions que prendront les régions, avec des présidents que vous aurez laissé choisir par d’autres, pour six ans. En n’allant pas voter dimanche, vous aurez voté, en réalité, pour le pire.