Que peut faire un président de la République française ? Bien des choses. A condition de replacer son action dans le monde, comme il est, et de tirer des leçons lucides de ces premiers mois incertains.

La situation planétaire est apparemment prometteuse, et les défenseurs de l’ordre libéral, très présents dans l’actuel gouvernement français, ont de bons arguments : une forte croissance mondiale, des progrès techniques vertigineux ; avec, en conséquence, à l’échelle mondiale, une augmentation de l’espérance de vie, et une réduction de la mortalité infantile et de l’extrême pauvreté.

Par contre, ils ne peuvent en dire autant pour l’Union européenne : Terre de cocagne, elle est seule, et divisée ; ses membres ne voient pas l’urgence de rassembler leurs forces ; sa croissance est fragile et elle sera, si rien ne change, la première victime de la concurrence des deux grandes puissances d’après demain, la Chine et les Etats-Unis.

De plus, le monde qui vient est, en fait, plein de dangers : Financièrement, tous les signes sont réunis pour une crise mondiale bien plus grave encore que celle de 2008. Economiquement, le chômage reste important, en particulier en France ; et, là où il se réduit, ce n’est que parce que les gens ne peuvent faire autrement que d’accepter de travailler pour des salaires de misère, alors qu’un tout petit nombre de familles concentrent des richesses obscènes. Politiquement, les démocraties donnent l’image désastreuse de gouvernements à la dérive, incapables de penser sérieusement à préparer l’avenir. Géopolitiquement, mille menaces rodent en Asie, en Europe, au Moyen Orient, en Amérique Latine et en Afrique. Idéologiquement, le vide des démocraties libérales, (et des partis de droite et de gauche qui y ont si longtemps régné), conduit les peuples à chercher refuge dans les extrêmes ou dans diverses formes de distraction, jusqu’aux drogues les plus mortelles. Enfin, bien sûr, les désastres écologiques, sur terre, dans les airs, en mer, sont de plus en plus proches et massifs.

De tout cela, la France n’est pas indemne : des dettes abyssales, des inégalités considérables, un environnement saccagé, un appareil d’Etat incapable de se réformer, une classe dirigeante crispée sur ses privilèges. En particulier, depuis trente ans, notre pays a laissé s’aggraver ses deux plus graves faiblesses : les inégalités entre groupes sociaux et la bureaucratie.

De cela, notre démocratie peut mourir. Si des réformes efficaces et justes ne sont pas rapidement mises en œuvre, si on laisse se développer le fantasme d’une invasion imaginaire par des millions de migrants, le prochain président de la République française sera d’extrême droite, élu grâce au soutien, plus ou moins explicite, de l’extrême gauche.

Pour l’éviter, il est de l’intérêt du pays que l’actuel président de la République réussisse. Non pas à être populaire, ce qui est souvent le signe de l’inaction, mais à affronter tous les défis dont il est question plus haut.

Il lui faut pour cela donner un sens à son action, et l’approfondir, autour de trois thèmes : l’efficacité, la justice sociale et le long terme.

· L’efficacité suppose de reprendre le pouvoir sur des administrations nationales et régionales proliférantes, et paralysantes. Il ne doit plus se laisser imposer des budgets conformistes, par des fonctionnaires imbus d’eux-mêmes qui y glissent toutes les astuces médiocres que les gouvernements précédents avaient su écarter. Il doit aussi mettre en œuvre une réforme profonde des fonctions de l’Etat et des collectivités territoriales. Et enfin, éviter de choisir des ministres irresponsables, qui démissionnent en violant toutes les règles posées par les institutions ; et des collaborateurs inconscients, qui dérapent en violant toutes les lois de la République.

· La justice suppose de gouverner pour tous et pas seulement pour ceux qui ont aujourd’hui les moyens de réussir. Et même si les chiffres montrent que beaucoup est fait pour les plus défavorisés, (en particulier par le ministère de l’Education nationale), on a trop aujourd’hui l’image d’un gouvernement pour les plus riches, pour ceux qui savent, pour ceux qui ont des relations, pour ceux qui n’ont aucune raison de se plaindre, pour ceux qui comprennent le monde qui vient et qui, quoi qu’il arrive, sauront en tirer le meilleur. Pour en sortir, il faudra faire plus de que parler aux plus pauvres. Il faut leur garantir les moyens de se prendre en main ; et ne plus les pénaliser, comme on l’a fait avec l’absurde réforme des APL ou avec la suppression si mal pensée de l’ISF (qui prive les ONG et les fondations d’un de leur mode principal de financement).

· Le long terme suppose de gouverner dans l’intérêt des générations futures ; et pour cela, de donner bien plus hardiment encore une priorité à l’éducation, à la santé, à la recherche et à l’investissement. Et de bouleverser notre fiscalité, pour qu’elle soit très clairement incitatrice à la réduction, par l’industrie et les ménages, des émissions de gaz à effet de serre et à la réutilisation des déchets.

Tout cela est possible ; Et le pays peut réussir.

La France est un pays magnifique. Une terre fertile, des paysages de rêve, des accès à la, mer privilégiée ; une industrie de pointe dans d’innombrables domaines ; des habitants extraordinaires, de mieux en mieux formés, très souvent altruistes et décidés à s’entraider.

Naturellement, ce serait mieux si on pouvait inscrire tout cela dans un projet européen, qui donnerait aux 500 millions de personnes les plus riches de la planète les moyens de se protéger et d’agir ensemble.

Tout cela est une utopie. C’est-à-dire un projet, c’est-à-dire un programme, c’est-à-dire un budget.

Cela peut, cela doit, devenir une réalité.

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