« Croire qu’il y a seulement les planètes dont l’existence nous est connue à ce jour n’est pas plus raisonnable que de s’imaginer que le ciel n’est peuplé d’aucun autres oiseaux que ceux qui passent devant notre fenêtre. » écrivait le très grand philosophe chrétien Giordano Bruno à la fin du 16ème siècle ; Il n’accepta jamais d’entériner les dogmes de son temps, et ne crut que ce que la raison le conduisait à penser. Il le paya de sa vie : en février 1600, sur ordre du pape Clément VIII, il fut brûlé vif sur une place de Rome.

Cette tragédie s’inscrit dans la longue histoire de ceux qui, depuis l’aube des temps, affirment haut et fort la primauté de la raison sur tous les diktats. Ceux pour qui toute certitude doit s’incliner devant l’expérience ; toute doctrine devant les faits ; toute idéologie devant la raison.

Aujourd’hui encore, cette phrase devrait résonner comme une évidence. Et pourtant, il y a encore des gens, sinon de plus en plus, qui proclament que la théorie de l’évolution est fausse, que les femmes ne sont pas les égales des hommes, qu’il existe plusieurs races humaines, inégales et différentes, que telle ou telle nation est supérieure à telle autre, que l’homme est supérieur à la nature et qu’il ne joue aucun rôle dans le réchauffement climatique.

Dans le monde incertain, bouleversé, par mille et un changements, bien des gens se crispent sur des certitudes de toute nature. Religieuses, politiques, nationales, sociales, idéologiques. Ils refusent le doute et affirment que, même dans le monde de la connaissance, « c’était mieux avant ».

On peut le comprendre : Il est difficile de vivre les bouleversements du monde. Et quand on voit le plancher de ses certitudes se dérober sous ses pieds, on s’agrippe à ce qu’on peut. Comme un alpiniste en danger à la moindre aspérité de la roche.

C’est de cela que naissent toujours les idéologies totalitaires. Et c’est aujourd’hui, de nouveau, ce qui vient. Ces fanatiques sont de même nature, même s’ils croient s’opposer : il y a beaucoup plus de points communs qu’ils ne le croient entre ceux qui ne doutent pas de leur lecture de l’Histoire, et ceux qui s’accrochent à leur lecture des textes sacrés.

Pourtant, il est possible de concilier éthique et raison, foi et science. Pour les athées, cela ne doit pas remettre en cause la foi en l’homme. Et pour les croyants, la foi en ce qu’ils nomment Dieu.

N’est-ce pas ce que voulait déjà dire le très grand philosophe musulman de Cordoue, Ibn Ruschd, quand il écrivait au milieu du 12ème siècle cette phrase majeure : « La vérité ne saurait contredire la vérité ; elle s’accorde avec elle et témoigne en sa faveur » ce qui veut dire que, quelles que soit les découvertes de la science, la foi doit les admettre sans que cela l’empêche de glorifier les merveilles de l’univers, que la raison dévoile. Ce que Giordano Bruno reprit, 5 siècles plus tard, après Maimonide et Thomas d’Aquin, en écrivant : « Ainsi la splendeur de Dieu est augmentée, la grandeur de son royaume est révélée : il n’est pas dans un, mais dans d’innombrables soleils, pas dans une Terre, un monde, mais dans plusieurs centaines de milliers, que dis-je, dans d’innombrables mondes. »

Il y avait déjà là l’intuition de la pluralité des galaxies, que la science mit encore plus de deux siècles à confirmer.

C’est en se souvenant de ces pensées, et de ceux qui sont morts pour les proclamer, qu’on pourra défendre le devoir de doute, de raison, de tolérance, d’humilité, sans lequel il n’y a jamais eu ni humanité, ni civilisation, ni liberté.
Rien n’est plus urgent aujourd’hui.

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