Les accidents de la route constituent un excellent moyen de mesurer l’importance qu’une collectivité attache à la vie humaine. Et, à cet aune-là, la France est particulièrement soucieuse de la vie de chacun de ses habitants.

Certes, on s’y plaint, à juste titre, de ce que le nombre de victimes, morts et blessés, de ces accidents soit en hausse en 2015 par rapport à l’année précédente, pendant laquelle 3 384 personnes ont perdu la vie ; ce qui nous éloigne de l’objectif affiché : moins de 2 000 tués sur les routes en 2020.
Mais il faut relativiser ce recul : il fait suite à une longue période de progrès (en 1972, plus de 18 000 personnes sont mortes d’un accident de la route en France, et plus de 500 000 depuis 1945). Les chiffres actuels placent la France dans la moyenne européenne.

De plus, ces statistiques sont dérisoires au regard de ce qui se passe dans le monde : alors que les catastrophes naturelles et les actes de violence terroristes ou militaires font les gros titres tous les jours, personne ne parle des 1,25 million de morts par accidents de la route, par an, soit 3 500 par jour, dont un sur deux est un piéton ou un utilisateur de deux-roues, la moitié ont moins de 45 ans et les trois quarts sont des hommes. La circulation est même la première cause de décès chez les jeunes âgés de 15 à 29 ans. Il faut y ajouter de 20 à 50 millions de blessés, dont beaucoup restent handicapés. Et la quasi-totalité des décès surviennent dans les pays à revenu faible, où se trouve environ la moitié du parc automobile mondial. Le coût total annuel de ces accidents est de l’ordre de 3 % du PIB mondial, et même 5 % dans les pays les plus pauvres.

Si rien n’est fait, au regard de la croissance des villes, du nombre de jeunes et du parc automobile (qui augmente trois fois plus vite que la population et va atteindre 3 milliards d’unités en 2050), les victimes d’accidents de la route atteindront 2 millions par an dès 2020 ; ils constitueront, en 2030, la septième cause de mortalité dans le monde, et de loin la première pour les jeunes, et ils coûteront environ 5 % du PIB mondial.

Face à cela, en 2011, l’ONU a lancé sa Décennie d’action pour la sécurité routière, en se fixant pour objectif de sauver 5 millions de vies sur les routes du monde jusqu’en 2020, ce qui revient à faire baisser le nombre annuel de victimes de plus d’un tiers. Elle en a confié la conduite à un Français compétent, Jean Todt, actuellement président de la Fédération internationale de l’automobile.
Pour y parvenir, il sera difficile, sinon impossible, de rendre plus sûres toutes les voitures du parc automobile mondial, ou de refaire toutes les routes. Il serait aussi illusoire d’attendre tout de l’avènement des voitures autoguidées ou du développement des transports publics. Mais il est possible de faire beaucoup, avec peu de moyens, par la législation. Cinq mesures suffiraient à réduire des trois quarts la mortalité automobile mondiale : il faudrait pour cela surveiller et punir le non-respect de la vitesse autorisée, l’alcoolémie, le défaut de port du casque et de la ceinture, et l’usage du téléphone.

Et, si l’on veut être plus efficace encore, il faut faire preuve d’une beaucoup plus grande sévérité dans l’octroi des permis de conduire. Tout cela exige un état de droit exemplaire, un système policier et judiciaire efficace, et une vraie prise de conscience.

Si on n’agit pas ainsi, c’est que les décideurs politiques se trouvent face à des populations pour lesquelles cela n’est pas, et ne sera pas une priorité. On peut le comprendre : quand la vie ne vaut pas d’être vécue, il arrive que la mort le vaille, que prendre le risque de mourir, d’une façon ou d’une autre, constitue le meilleur moyen de se prouver qu’on est vivant. Comme si la fureur de mourir était en voie de devenir l’acte de révolte préféré, dans un monde en plein désarroi.

Et dans une société de plus en plus nomade, la vitesse devient tout naturellement une façon majeure de prendre le risque de mourir.

Le propre d’une bonne société, et d’une bonne  politique, serait alors de réussir à rendre accessible à chacun une vie si longue, si épanouissante et si libre que nul n’ait envie de la gâcher bêtement, en conduisant le plus bêtement du monde. En prenant des risques nomades, en conduisant, ou sédentaires, en se laissant aller à l’obésité.

Donner envie de vivre. Telle est peut-être la plus haute ambition de la politique