Le président de PlaNet Finance, qui publie aux éditions Fayard « Tous ruinés dans dix ans? », décrypte la crise de la dette et la panique sur l’euro.

Le Nouvel Observateur. A vous lire, le « duel mortel » entre les marchés et les Etats était inévitable. Que veulent les marchés?

Jacques Attali. – Il y a deux composantes dans les marchés. La première, ce sont les gens qui prêtent de l’argent, et qui vérifient à tout moment qu’on peut les rembourser. Ils «spéculent» sur la capacité à payer. C’est légitime. S’ils ont un doute, cela tourne très vite au duel de western. La seconde, ce sont les gens de marché qui font des paris à la hausse ou à la baisse sur une devise, une Bourse. C’est du casino et cela devrait être interdit à l’échelle mondiale.

N. O. – Comment expliquer que leur duel contre la Grèce se soit élargi si vite à l’euro?

J. Attali. – Il faut revenir sur l’histoire de la dette et de ses nombreuses crises. Je raconte dans mon livre le dîner du 20 juin 1790, à New York, entre trois des principaux dirigeants de la nouvelle Amérique, Hamilton, Jefferson et Madison. Le premier voulait émettre des emprunts fédéraux pour refinancer les dettes de guerre des Etats, les deux autres y étaient op-posés, mais voulaient une capitale en terrain neutre. Ils ont fait un compromis et Washington est né. C’est ce dîner – et les hommes d’Etat qui l’ont fait – qui manque à l’Europe. Il lui faut une vraie capitale, un vrai budget et un Trésorie Européen. On a trop traîné.

N. O.- Les Européens ont pourtant réagi en annonçant un plan de solidarité de 750 milliards d’euros. Pourquoi la confiance n’est-elle pas revenue?

J. Attali. – C’était une réponse absurde. Si votre banque vous dit soit vous me remboursez demain, soit je vous envoie l’huissier, que faites-vous ? Vous allez demander à des copains de vous faire des lettres de garantie. Cela calme votre banquier quelques jours, mais quand il comprend que ces garanties ne sont pas plus solides que vous, il revient à la charge. Eh bien! c’est la même chose avec le plan européen. Qui croit que la Pologne va financer le Portugal? Qui croit que le FMI va apporter l’argent, alors qu’il n’en a pas le droit sans définir pays par pays un programme d’austérité? Qui croit que la BCE va vraiment faire marcher la planche à billets? Jean-Claude Trichet n’a pas l’intention de l’utiliser autrement qu’à dose homéopathique, pour faire face à un problème de liquidité bancaire temporaire! On fait de la cavalerie sans rien régler.

N. O. Quel problème l’Europe doit-elle résoudre ?

J. Attali. – C’est très simple : l’Occident vieillit, se fatigue, ne veut plus travailler. Pour maintenir son niveau de vie, il s’endette. Puis un jour, poliment, on lui demande de dire comment il compte rembourser. Il doit donc annoncer son plan. L’histoire enseigne qu’il n’y a que huit moyens de s’en sortir: baisser les dépenses, augmenter les recettes, baisser les taux d’intérêt, faire de l’inflation, rééchelonner sa dette, demander une aide extérieure, décréter un moratoire, faire de la croissance … ou une guerre. Nous devons tout faire pour nous en sortir par la croissance.

N. O. – Pour l’instant, on prend plutôt le chemin de la rigueur, qui ne rime guère avec croissance. Peut-on concilier les deux?

J. Attali. – Il ne faut pas que la rigueur nuise aux dépenses qui accélèrent la croissance. Il y a une bonne et une mauvaise dette. Il faut se donner les moyens de les distinguer et dire la vérité. La dette française, au total, c’est 575% des recettes fiscales. Les intérêts pèsent déjà presque un tiers de ces recettes chaque année! Or quand la charge de la dette atteint 50% des recettes fiscales, on sait qu’un Etat est mort, sans marge de manœuvre. Si on s’y met tout de suite et que l’on coupe les dépenses de 50 milliards, nous pouvons nous en sortir. Il faut plus qu’un plan de rigueur. Il faut un plan anti-catastrophe !

N. O. – Entre faillite et rigueur, y a-t-il une troisième voie?

J. Attali. – L’autre option, c’est d’avoir une vraie réaction européenne, de créer une agence européenne du Trésor, qui émettrait des emprunts à la place des Etats et leur donnerait une bouffée d’oxygène pour réorgani-ser leurs finances. Cela laisserait le temps de mettre en place un vrai plan de retour à l’équilibre, avec une gouvernance européenne. Si un pays ne suivait pas la trajectoire convenue, c’est la Commission qui prendrait les commandes. De manière automatique.

N. O. – Automatique! Les Etats ne sont même pas prêts à présenter pour avis leur projet de budget à Bruxelles …

J. Attali. – Pourquoi refusent-ils? Parce que tout le monde ment dans son budget! Mais il faut arrêter. Et réagir de manière unie. Sinon l’Europe perdra son rang. Cela a commencé. A mon sens, le G20 est une manière discrète de passer du G7 au G2 : Chine – Etats-Unis.

Propos recueillis par SOPHIE FAY