Jamais, sauf en période de guerre totale, la dette publique des pays les plus puissants du monde n’a été aussi élevée. Jamais les dangers qu’elle fait peser sur leur niveau de vie et leur système politique n’ont été aussi ­menaçants. » Une lecture historique et un diagnostic implacable de la situation ­dramatique à laquelle risquent de mener les excès d’endettement des dernières années.

Cela s’appelle un coup média­tique. En pleine tempête financière, alors que tous les pays ­européens plongent dans la rigueur budgétaire, Jacques Attali publie mercredi prochain un nouveau livre dont le titre, « Tous ruinés dans dix ans ? », vise à éveiller les consciences sur les menaces que fait peser la montée inexorable de la dette publique. « En France en particulier, si un coup d’arrêt n’est pas donné au plus vite […], le prochain président de la République ne pourra rien faire d’autre, pendant tout son mandat, que mener une politique d’austérité, et la prochaine décennie sera tout entière occupée, pour la France et chacun des Français, à subir les conséquences des folies de celle qui s’achève. »

Le ton est donné, c’est de notre destin qu’il s’agit, se justifie l’ancien conseiller spécial de François Mitterrand, qui sera auditionné, le jour même de la parution de son livre, par la commission des Finances de l’Assemblée nationale sur le nouveau rapport que lui a demandé Nicolas Sarkozy sur la sortie de crise. Clairement, Jacques Attali s’est inspiré des travaux de la commission qui porte son nom pour essayer de vulgariser des diagnostics qui figureront dans le nouveau rapport, où sera dressé un tableau de « La France en 2020 » à faire se dresser les cheveux sur la tête (de ceux qui en ont encore !).

À l’appui de son analyse, Attali raconte une histoire du monde par celle de la dette et de la faillite des États, une histoire en fait vieille comme le monde et qui explique de façon implacable le déclin des civilisations. De la naissance de la dette publique, quelque part en Mésopotamie, puis en Grèce au siècle de Périclès, en passant par Jules César, les rois de France, d’Angleterre, d’Espagne… on découvre que les princes du passé n’avaient peur ni d’emprunter ni de faire défaut. L’histoire du monde est pleine de crises financières, de dévaluations monétaires, de répudiations de ­dette. Il a fallu passer à l’État ­moderne et à la démocratie pour que le souverain cesse de considérer sa dette comme un emprunt personnel dont le successeur se débarrasse d’un trait. Peu à peu, l’Occident a compris que l’État devait reconnaître ses dettes pour pouvoir acquérir le crédit nécessaire pour emprunter à nouveau. C’est ainsi qu’est né le surendettement, chaque génération transmettant ses emprunts à la suivante selon le phénomène de « boule de neige » bien connu. Résultat : de 1800 à nos jours, Jacques Attali a compté pas moins de 250 défauts sur la dette externe et 68 sur la dette publique.

En véritable docteur Doom, Jacques Attali n’exclut pas un scénario du pire, « la ruine de l’Occident », à l’image de celles de Venise, de ­Gênes ou de l’Espagne après le siècle d’or. « Si les taux d’intérêt montent, le défaut sera inévitable », compte tenu de la dynamique actuelle de l’endettement souverain. C’est vrai pour la Grèce, la France, l’Europe, les États-Unis. Il pourrait en découler une dépression mondiale qui emportera l’euro, puis le dollar. « Nos institutions n’y résisteront pas », annonce Jacques Attali, qui estime qu’il reste peu de temps pour inverser la tendance. Si rien n’est fait en France, la dette atteindra 130 % du PIB en 2020, ce qui menacera notre modèle social et politique, prévient-il.

Philippe Mabille.