Les débats sur l’éventuelle suppression du  juge d instruction et sur la possible  création d’une taxe  sur la production de gaz carbonique révèlent une dérive inquiétante de l’esprit public : Tout se passe comme si, dans l’opinion, une décision annoncée par l’exécutif avait valeur de loi. On ne discute que de savoir si c’est au président ou au premier ministre de faire ces choix, et certains s’étonnent même  que le juge d’instruction existe encore, ou que la taxe  carbone ne soit pas déjà en application.

Et pourtant, en démocratie,  et en particulier en France, depuis que notre pays  est en République, c’est le parlement qui vote l’impôt et c’est lui qui décide de la réforme de nos instances judiciaires. La  Vème république l’a confirmé,  en précisant, par son article 34, les domaines où la loi est nécessaire, dont font partie l’impôt, et  la réforme du pouvoir judiciaire.  De plus, la très récente réforme constitutionnelle a considérablement renforcé le pouvoir du parlement, qui fixe en partie son ordre du jour, propose ses propres  textes et peut plus facilement écarter les textes de l’exécutif.

La tentation pour l’exécutif d’empiéter sur le pouvoir du législatif est constante, quelles que soient les majorités ; les  commentateurs l’y aident et  les parlementaires, de la majorité et de l’opposition,  semblent se laisser prendre à ce piège. Par révérence pour les uns. Par négligence pour les autres.

Cette tentation va augmenter.

D’une part,  parce que  la récente réforme du mandat présidentiel, et la fixation des élections législatives après celle du président,  permettent  à ce dernier de soutenir que son élection conditionne celle des parlementaires de sa majorité et que ce sont donc ses choix personnels qui doivent l’emporter.

D’autre part,  parce que  la formidable réduction des pouvoirs des uns et des autres les poussent à se disputer de plus en plus leurs ultimes domaines d’intervention: le président a perdu une grande partie de  son ancien domaine réservé en raison de la disparition de la menace soviétique, qui vide de son sens thaumaturgique l’arme  nucléaire, du  développement de l’Europe, qui le prive d’innombrables degrés de liberté  diplomatiques, de la création de l’euro, qui le prive du pouvoir de dévaluer ou de réévaluer ; des privatisations, qui le privent d’innombrables opportunités de nominations . Le gouvernement, lui aussi,  a perdu  nombre de ses pouvoirs, pour les mêmes raisons, auxquelles s’ajoute  la décentralisation, qui renvoie aux pouvoirs locaux de nombreuses prérogatives anciennement exercées par les ministres. Enfin, le parlement lui-même a perdu beaucoup de pouvoirs en raison de la prééminence du droit européen, dont les directives traduites en textes de lois imposent de formidables contraintes à la représentation nationale.

Il ne faudrait donc  pas  que l’opinion publique laisse  l’exécutif, qui n’en demande pas tant,   s’arroger une part indue des ultimes compétences nationales.  Et si l’on ne veut pas que s’opère ainsi  un coup d’Etat involontaire et médiatique, il faut rappeler sans cesse que,  dans notre grande et belle démocratie, sur tous les sujets majeurs,   le président propose, le parlement décide, le gouvernement exécute.