Comme souvent, un évènement naturel peut servir de métaphore à un phénomène social. Et, pour décrire et comprendre les crises, rien de mieux que la métaphore du tremblement de terre.

D’abord, une crise économique est, comme tout tremblement de terre, le résultat d’une accumulation de déséquilibres, conséquence de mouvements longs, suivie d’une rupture brutale. Dans le cas de la géologie, la tendance longue est la dérive des continents ; dans le cas de l’économie, elle est le basculement des centres de pouvoir, d’un océan à l’autre. Ces tendances entrainent l’une et l’autre des accumulations de déséquilibres (dans un cas, géologiques ; dans un autre, financiers) se traduisant par des ruptures (dans un cas, des tremblements de terre ; dans l’autre, des crises).

Dans les deux cas, on observe très souvent, avant la catastrophe, de l’insouciance face aux risques et un refus de prendre au sérieux les prévisions alarmistes ; on constate aussi d’extrêmes inégalités dans le traitement des victimes ; on observe d’innombrables répliques, secousses ou rechutes, prolongeant le chaos initial ; on assiste encore à une gestion chaotique des secours, et enfin à un oubli quasi immédiat, une fois l’ordre revenu, des raisons profondes du désastre.

La métaphore va plus loin encore, parce que les tremblements de terre ont un impact économique. Non seulement parce qu’ils détruisent tout, qu’ils appellent à reconstruire, et fournissent des occasions de dépenses publiques, si nécessaires, selon Keynes, à la reprise de la croissance ; mais surtout parce que vivre dans une zone de tremblement de terre est un appel constant au neuf, au changement, à l’invention. Cela conduit à l’émergence d’une culture de la vigilance, du précaire, du léger, du nomade, de l’éphémère ; à une acceptation de la modernité, condition du progrès.

Pas étonnant si, parmi les zones les plus créatives de l’humanité, on trouve au premier rang des zones sismiquement très actives : la Grèce, l’Italie, la Flandre, la Californie, le Japon, ont tous, chacun à leur tour, vécu la menace du tremblement de terre comme une incitation au changement, comme un appel à ce que les Grecs nommaient « la tyrannie du neuf ». Et Haïti a su, mieux que nul autre au monde, faire preuve de la seule créativité qui lui était financièrement accessible, la créativité culturelle ; celle qui permet de tout relativiser, dans une constante recherche du dépassement et du beau.

Il serait sage de tirer cette leçon de la tragédie d’aujourd’hui: La richesse de l’humanité vient de sa capacité à imaginer les changements et à les vivre aux mieux ; et pour cela à admettre que ne peuvent survivre que ceux qui sont capables de donner du sens à la destruction du passé ; et à comprendre que la richesse vient toujours de la « destruction créatrice » dont parlait le plus grand économiste du 20ème siècle, Joseph Schumpeter, bien plus clairvoyant que John Maynard Keynes .

Au moins, que cette épouvantable tragédie serve à cela. Et que l’on construise Haïti (qui oserait parler de « reconstruire » quand il s’agit de tels taudis ?). Pour que les Haïtiens puissent enfin faire de leur art non plus un refuge dans leur misère mais un moyen de vivre dignement leur éblouissante contribution à l’Histoire.