Quand on compare les discussions sur la dette publique en France avec celles qui se déroulent partout ailleurs en Europe, aux Etats-Unis ou Japon, on ne peut qu’être consterné : ici, à droite comme à gauche, le mot d’ordre est: « S’il vous plaît, ne parlons de rien qui fâche. Et pour cela, lançons quelques bons petits débats sans importance ».

A droite, pour se débarrasser de promesses électorales encombrantes, on invente une imaginaire urgence d’une convergence fiscale franco-allemande, pour ne parler que de transférer quelques milliards d’un impôt à l’autre.

A gauche, sous prétexte de parler de justice sociale, on ne débat que de la meilleure façon de déplacer une part des impôts vers les 3% les plus riches. Là encore, juste quelques milliards à transférer d’un contribuable à l’autre. .

Pour les partenaires sociaux, ce n’est pas mieux : les syndicats parlent de mettre plus d’impôts et de cotisations à la charge des entreprises quand le patronat recommande au contraire de transférer des charges sur la TVA ou la CSG.

Tout cela serait bel et bon si les enjeux les plus urgents n’étaient tout autres : il ne s’agit pas en effet aujourd’hui seulement de savoir si nos impôts sont les plus efficaces ou les plus justes, mais de savoir, beaucoup plus prosaïquement, si, au total, ils sont assez élevés.

Rappelons les données : si on ne trouve pas, d’ici fin 2013, 75 milliards d’euros, en dépenses ou en recettes, la dette publique, qui dépassera de toute façon à cette date 90% du PIB, continuera d’augmenter jusque 120%. Et là, le pays ne sera plus souverain : sa dette ne sera plus finançable ; et les économies imposées par les préteurs seront alors bien plus importantes.

Et encore, pour que ces 75 milliards soient suffisants, il faudrait que la croissance moyenne du PIB de la France soit de 2% par an durant cette période. Si elle est plus proche de 1,5% comme c’est vraisemblable, c’est 90 milliards d’euros au moins qu’il va falloir trouver.

Or, au mieux, dans les budgets 2011 de l’Etat, des collectivités territoriales et de la sécurité sociale, on en a trouvé 12.

Restent donc à en trouver au moins 63 en deux ans, soit au moins 32 en 2012, soit près de trois fois ce qu’on a su dégager en 2011. En une année électorale et avec un débat public dans lequel il n’est question que de la façon de déplacer quelques 3 ou 4 milliards d’un impôt à un autre.

En conséquence, on ne fera donc rien de sérieux, ni en 2011, ni en 2012. En tout cas rien avant les élections présidentielles. Après, évidemment, une politique d’austérité se mettra en place. Qui que ce soit qui gagne.

Tout cela menace de rendre dérisoire la campagne présidentielle qui commence : d’abord parce que personne n’a, pour l’instant, le courage, ni a droite ni à gauche, de parler sérieusement de la dette publique. Ensuite parce que, quel que soit le résultat des urnes, Dominique Strauss Kahn sera à l’Elysée en mai 2012 : soit comme Président de la République, soit comme Directeur Général du FMI, en charge d’imposer à Nicolas Sarkozy les économies et les hausses d’impôts dont il n’aura pas voulu pour se faire réélire.

Autrement dit, le choix entre l’un et l’autre est en train de devenir sans importance.

A moins que les prêteurs, qu’on nomme « les marchés », conscients de cette lâcheté française accélèrent les échéances en faisant monter les taux et en exigeant des économies immédiates, comme ils le font déjà dans d’autres pays européens. Cela refroidirait bien des enthousiasmes ; et bien moins de gens seront tentés de venir gérer la pire rigueur que la France se sera imposée. On ne peut même pas exclure que, dans ce cas, ni Nicolas Sarkozy, ni Dominique Strauss Kahn ne seront candidats. Ouvrant à toutes les aventures.