Il faut savoir gré à Dominique de Villepin d’avoir proposé une réforme difficile, impopulaire, parce qu’il était convaincu qu’elle pouvait créer des emplois. C’est cependant une bizarrerie inexplicable, pour un homme si aguerri aux arcanes du pouvoir, que de se lancer dans une telle politique sans s’être fait expliquer ce que tout interlocuteur compétent aurait pu lui dire : permettre de licencier un employé pendant deux ans sans motif conduira la plupart des entreprises à ne plus recruter personne autrement et ne créera pas le moindre emploi nouveau.

En agissant ainsi, le gouvernement a pu se croire dans l’air du temps. De fait, partout dans le monde, la précarité se généralise et la mondialisation aligne vers le bas les conditions de vie des travailleurs. Mais la précarité ne crée nulle part des emplois. Seule en crée la croissance, qui ne trouve plus, même dans les pays en développement, sa source dans les bas salaires : pendant que l’Inde concurrence Microsoft, et que la Chine rachète une partie d’IBM, nous en sommes à défendre des champions dans les industries du passé, comme l’énergie ou l’acier, et à dévaloriser notre seule chance pour l’avenir : le savoir des jeunes.

L’essentiel aujourd’hui n’est donc pas de précariser les emplois mais, ce qui suppose généralement l’inverse, de valoriser la compétence des travailleurs et de les mettre en situation de considérer un changement d’emploi comme un progrès et non comme un échec. Un salarié accepterait d’autant plus facilement un contrat à durée déterminée qu’il serait assuré de retrouver vite un emploi, d’avoir une formation, d’être aidé dans la recherche d’un travail et surtout d’avoir droit, pendant cette période de transition, à un revenu décent. Sortir par le haut de la crise actuelle exigerait donc de considérer que toute personne à la recherche active d’un emploi et en formation exerce une activité socialement utile, méritant une rémunération.

En particulier, pour aider les jeunes et les accompagner dans cette mutation du travail, pour les faire utiliser les périodes de transition ou l’attente de leur premier emploi à améliorer leur potentiel, il faut donc leur fournir une véritable sécurité, plutôt que d’institutionnaliser l’instabilité. A l’inverse d’un contrat première embauche (CPE) qui précarise le travail, il faudrait mettre en place un véritable statut de chercheur d’emploi : un contrat d’évolution, signé entre le chômeur et une entité publique, garantirait un revenu supérieur au niveau actuel des allocations chômage, l’accès à une formation et un encadrement par un coach (ayant l’objectif d’amener « ses » chômeurs à l’emploi, et les moyens adaptés).

Cela aurait non seulement pour effet de donner un statut d’actif aux chômeurs de tout âge, mais aussi d’améliorer fortement la qualité des emplois qu’ils trouveront, tout en réduisant massivement la durée de leur recherche d’emploi. Cela permettrait aussi de s’assurer que personne ne soit abandonné en situation de « chômage passif », et donnerait à chacun les moyens de réussir son évolution professionnelle. Les entreprises y gagneraient en personnels mieux qualifiés et plus disposés à prendre le risque d’un emploi à durée incertaine. La France y gagnerait en productivité, puisqu’elle se doterait – enfin – d’un dispositif permettant d’utiliser au mieux le potentiel de ses citoyens.

Pour financer cette réforme, une autorité spécifique, aussi locale que possible, réunirait tous les moyens publics consacrés à l’emploi, actuellement dispersés entre des dispositifs disparates. Les calculs montrent ( cf. www.supprimerlechomage.org) qu’une telle révolution ne coûterait pas plus cher que les politiques actuelles de l’emploi qu’elle concentrerait et simplifierait en un dispositif unique, adapté aux demandeurs d’emploi.

Il faudrait, pour s’y lancer, avoir le courage de reconnaître que, plus que jamais, il n’est de richesse que d’hommes et que c’est dans la recherche effrénée de la valorisation du potentiel de chacun des Français que se situe l’ultime chance de la France.