Le 9 août, Singapour a fêté le 50ème anniversaire de son indépendance. Et personne ne met en doute l’extraordinaire succès de ce pays. Le directeur de leur principale grande école, ancien ambassadeur aux Nations Unies, le célèbre analyste Kishore Mahbubani, a même rappelé que, pour de très nombreux Asiatiques, Singapour est « la société la plus réussie depuis les débuts de l’humanité ». On peut trouver cela exagéré. Néanmoins, l’histoire de Singapour est extraordinaire : quand, en 1965, les 1,5 millions d’habitants de cette île minuscule, alors malaisienne, sont expulsés de la mère patrie, parce qu’ils sont pour l’essentiel d’origine chinoise, personne ne donne cher de leur avenir, perdus qu’ils sont sur une terre inhospitalière, au milieu de nulle part, sans soutien de personne. De fait, leur revenu est alors de 500 dollars par an, soit l’équivalent de celui du Ghana au même moment.

Aujourd’hui, il est passé à 55 000 dollars, contre 3 200 pour le même Ghana. Plus encore, c’est même le pays dont le niveau de vie s’est le plus amélioré depuis qu’on le mesure. Ce formidable succès se manifeste dans de très nombreuses dimensions : Singapour est devenu le deuxième port du monde, après Shanghai ; la mortalité infantile y a diminué plus vite que n’importe où ailleurs (de 35 pour mille en 1965 à 2 pour mille en 2015) ; les adolescents de 15 ans y ont le meilleur niveau en mathématiques au monde; 90% de ses habitants possèdent leur logement. Beaucoup d’étrangers, y compris des Américains et des Européens, font des pieds et des mains pour avoir un passeport singapourien. Et cela va continuer : il est prévu que, en 2050, c’est à Singapour que le niveau de vie sera le plus élevé de toute la planète.

Comment expliquer ce succès ? D’abord par un extraordinaire leadership, pérenne pendant 50 ans : un père fondateur lucide et incontesté, Lee Kuan Yew ; un exceptionnel architecte économique, le Dr Goh Keng Swee ; un philosophe politique, S. Rajaratnam, et un stratège culturel et militaire, George Yeo. Ensuite, une politique, stable depuis 50 ans, fondée sur trois principes : la méritocratie (choisir les meilleurs, d’où qu’ils viennent socialement et ethniquement) ; le pragmatisme (face à tout problème, ne pas se préoccuper d’idéologie et se contenter d’adapter et de reproduire la meilleure solution appliquée dans un autre pays) ; l’honnêteté (lutter impitoyablement contre la corruption).

Si la démocratie ne fait pas partie de ces principes, et si, dans cette dictature éclairée, les médias sont sous contrôle, les résidents semblent apprécier un tel système: ils sont libres de partir, mais ils ne le font pas, préférant la sécurité que procure le régime, aux délices de la liberté, qu’ils pourraient espérer :1]d’une démocratie.

De tout cela, il faut retenir des leçons : un gouvernement stable, créant la confiance chez ses citoyens, décidant en fonction de l’intérêt à long terme du pays, sans parti pris, est un formidable facteur de succès économique et politique. De même, un pays confronté à des manques, mais décidé à survivre, est mieux placé qu’un pays de cocagne se croyant immortel. Aussi, beaucoup voient dans Singapour un modèle pour le monde, celui d’une société positive, c’est-à-dire décidant en fonction de l’intérêt des générations suivantes. On peut même s’attendre à voir bientôt monter le débat suivant : la démocratie est-elle vraiment le meilleur des systèmes politiques ? Ne faut-il pas y renoncer pour se défendre, répondre aux enjeux climatiques et maintenir son niveau de vie ?

Certes, les faiblesses de Singapour ne doivent pas être oubliées. Avec 5 millions d’habitants, c’est à la fois le pays le plus dense au monde et celui dont la natalité est la plus basse (0,8 enfant par femme) : comme presque tous les ressortissants des pays les plus riches, les Singapouriens ne font pas d’enfants, soucieux de ne pas partager leur bien-être. Ils se préparent alors de sombres avenirs. De plus, le port pourrait perdre son utilité quand le passage de l’Asie vers l’Europe se fera par le pôle Nord, en raison du réchauffement climatique. Mais, de tout cela, les dirigeants de cette cité-Etat sont conscients et se préparent, obsédés par 2050. En faisons-nous autant ?