Rien ne serait plus désastreux pour le gouvernement que de retirer le projet de loi sur la réforme du Code du travail. Il serait vu comme cédant aux pressions de syndicalistes minoritaires, comme incapable de réussir une réforme, et surtout une réforme à laquelle il tient particulièrement. Et, comme l’a dit le Premier ministre, c’est l’idée même de réforme qui mourrait alors. A l’inverse, il y a aussi d’excellentes raisons de retirer ce texte. D’abord, il est très mal parti, depuis sa conception : sa première version, qui ne visait en fait qu’à faciliter le licenciement, pouvait difficilement convaincre qu’elle allait permettre de créer des emplois ; les innombrables versions suivantes, issues de négociations tous azimuts, ne pouvaient aboutir qu’à des résultats totalement contradictoires. A la CGT, on accordait le maintien du tarif des heures supplémentaires pour les transporteurs et l’extension du Code du travail aux franchises, à la CFDT l’inversion (dans l’article 2, qui occupe plus du quart de l’ensemble du texte) de la hiérarchie des normes, donnant pouvoir aux syndicats majoritaires de négocier avec le patronat des accords d’entreprise dérogatoires aux accords de branche, au grand soulagement des patrons.

La nouvelle version de la loi, qui vise ainsi à contenter tout le monde, ne satisfait plus personne, au point qu’aujourd’hui si chacun veut publiquement qu’on la modifie, nul ne serait mécontent qu’on la retire, à condition de ne pas en porter la responsabilité. Ce texte convient encore moins aux chômeurs, puisqu’on n’y débat plus de leur formation. Et si le projet contient une avancée, avec le principe du droit à la formation attaché à la personne, il n’est pas garanti dans ce texte obscur et pas plus financé. Enfin, pourquoi faudrait-il garder un texte qui sera évidemment, s’il devient loi au ­forceps, remis en cause par le prochain président de la République et la prochaine majorité ? Il ne fait malheureusement pas partie de ces progrès sociaux si évidents que, une fois votés, ils sont irréversibles.

Ce désastre s’explique aisément : le projet initial n’était pas clairement pensé, ne s’inscrivait pas dans une vision du monde, dans une conception claire de l’évolution du marché du travail et des conditions du salariat : il en est resté à la pathétique bataille des soi-disant « partenaires sociaux » qui ne pensent qu’à préserver leurs privilèges et leur influence, même au détriment de l’intérêt général, dont ils ne sont pas comptables. Aujourd’hui, il est trop tard et trop tôt à la fois pour remettre en chantier un projet de loi qui échangerait flexibilité contre sécurité, et qui assurerait une vraie formation diplômante et qualifiante à ceux qui voudraient ou devraient changer de métier. Le gouvernement doit choisir : garder le texte et passer en force, en ne faisant que des ­mécontents, ou retirer le texte et perdre la face.

Pour ma part, quand un tel choix binaire m’est proposé, je cherche toujours à lui échapper. C’est ici possible : alors que le débat va se concentrer sur les amendements à apporter à l’article 2, pour le vider de son contenu, je propose de faire l’inverse. Garder l’article tel quel parce qu’il offre une vraie démocratie dans l’entreprise en poussant les salariés à se syndiquer pour obtenir des avancées sociales. Et renoncer au reste du texte, pour rédiger une loi sur la formation professionnelle des chômeurs, dont le pays a tant besoin et dont les syndicats n’ont que faire. Cette solution serait la moins favorable aux intérêts tactiques des divers groupes de pression, et la plus favorable aux intérêts à long terme du pays. C’est sans doute pour cela qu’elle ne sera pas retenue.