En ces temps de précarité, d’instantanéité, de futilité, la mesure de la prise en compte du long terme par les décideurs publics est riche d’enseignements. D’abord, parce qu’il s’agit de la condition de notre survie. ­Ensuite, parce qu’évaluer un comportement est la condition de sa connaissance objective. Aussi, le classement des 35 pays de l’OCDE selon leur positivité, c’est-à-dire selon l’intérêt qu’ils portent aux générations suivantes, publié aujourd’hui par la Fondation Positive Planet (que je préside), est éloquent sur les stratégies des nations. Cet indice, calculé pour la quatrième année consécutive, intègre 40 données mesurant les différentes ­dimensions de l’attention qu’un pays voue aux ­générations à venir – l’éducation, le chômage des jeunes, la santé, la politique familiale, la place des femmes dans la vie publique, l’espace disponible pour les enfants dans les logements, la dette ­publique, l’investissement, l’environnement, la pollution, la reproduction des inégalités, la mobilité sociale, la démocratie, la lutte contre la corruption, la liberté de la presse, la confiance, la tolérance, et bien d’autres – établies par les instituts les plus officiels.

Toutes les analyses démontrent que, plus un pays avait un indice élevé, mieux il a résisté à la crise de 2008, autant en niveau de vie et d’emploi qu’en performance démocratique.

Le classement des pays le confirme. Comme toujours, les premiers sont au nord (Norvège, Suède, Islande, Pays-Bas) : ces États savent mieux qu’aucun autre donner la priorité à l’éducation, ­favoriser l’investissement de long terme, maîtriser leur dette, maintenir leur environnement, donner aux femmes le meilleur statut, garantir la plus profonde démocratie et la plus forte mobilité sociale. Comme toujours, les nations d’Europe du Sud (et le Japon) sont parmi les dernières, avec une note particulièrement mauvaise pour la Grèce, la Turquie, la Hongrie et l’Italie : ces pays négligent leurs enfants, leur environnement, leurs finances ­publiques et leur démocratie.

La France est en milieu de tableau, en recul, à la 18e place, distancée par l’Allemagne (11e) et par les Etats-Unis (14es), au coude à coude avec l’Espagne (19e). Notre situation s’explique par des progrès dans quelques dimensions essentielles (la baisse tendancielle de la proportion de jeunes sans emploi et sans formation, le niveau des infrastructures, le taux de participation aux élections) et par une légère amélioration du score obtenu auprès de l’ONG Transparency International dans son indice de perception de la corruption, mais surtout par des reculs dans des domaines stratégiques : l’éducation, la mobilité sociale, l’environnement, l’investissement de long terme et la dette publique. L’Allemagne, elle, avance malgré ses faiblesses ­démographiques, en raison de sa maîtrise des ­finances et de sa capacité à recevoir des étrangers.

On pourrait rêver que ces indices servent de références pour la prochaine élection présidentielle. Qu’on en débatte tous les jours, pour comprendre et agir. Si tel était le cas, on en conclurait que rien n’est plus important que l’école maternelle, le contrôle des dépenses publiques, la justice sociale, la démocratie locale et la protection de la nature. Il faudrait demander à chaque candidat : en quoi tenez-vous compte de l’intérêt des générations à venir ? En quoi vous intéressez-vous à ce que sera le pays dans vingt ans ? Comment l’indice de positivité de la France sera-t-il amélioré par votre programme ? Encore faudrait-il, c’est vrai, qu’ils en aient un…