Au lendemain de l’immense tragédie qui a frappé Paris, le 13 novembre 2015, il n’y a presque aucun Français qui n’ait reçu un ou des témoignages de sympathie de connaissances étrangères, qu’il s’agisse de gens rencontrés occasionnellement en vacances, de collègues de travail ou d’amis véritables; tous se sont manifestés dans les heures qui suivirent la nuit d’enfer, pour prendre des nouvelles et dire leur émotion.

Les autorités publiques de plus de 180 pays ont envoyé au gouvernement français des messages de solidarité. Des dizaines de présidents de République ou de chefs de gouvernement ont fait des discours en français. Les plus beaux et les plus symboliques bâtiments publics et privés du monde entier se sont spontanément éclairés aux couleurs de la France, de l’Australie au Brésil, de l’Arabie Saoudite à la Corée du Sud, avant même qu’on ne pense, à Paris, à en faire autant avec la Tour Eiffel. On a chanté la Marseillaise dans des milliers de stades dans le monde, à l’opéra de New York, devant l’ambassade de France à Madrid, et dans tant d’autres endroits.

D’innombrables médias ont titré en français, tandis que les journalistes et les éditorialistes de tous les pays ont commenté cet événement devenu immédiatement planétaire.  Les plus grands comiques de la télévision américaine, qui sont sans doute les éditorialistes les plus influents, ont vanté la France à leur manière, souvent incroyablement drôle et émouvante. Enfin, à l’initiative de la France, le conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies vient de décréter à l’unanimité, dans un élan unique, que les ennemis de la France étaient ceux de l’humanité.

Cela dit l’importance de la France dans l’ordre international et rappelle la nécessité de défendre ce qu’elle est.

Qu’avons-nous fait pour mériter une telle solidarité ? Pourquoi cela advient-il à l’égard de la seule France et non d’aucun des autres pays victimes récemment d’une tragédie équivalente, tels, par exemple, la Russie ou le Liban, pour ne parler que des attentats commis le mois dernier par le même ennemi ?

La France ne doit pas être comme une jolie femme qui croit que tous les hommages lui sont dus. L’empathie dont nous avons ainsi fait l’objet nous confère une responsabilité, nous impose un devoir. Il nous faut en être digne.

1. D’abord, en prenant conscience de ce que nous représentons pour le monde : nous sommes considérés partout comme le pays des Lumières, des droits de l’Homme, de la littérature, de l’art de vivre, de la gastronomie, de l’élégance, de la liberté, de l’impertinence et de la tolérance. Nous sommes admirés et jalousés pour cela. Cette fois, dans la plupart des esprits, la jalousie n’a pas entraîné le plaisir morbide de voir l’autre malmené…

2. Ensuite, en défendant chez nous ces valeurs et ce mode de vie. Pour que l’humanité puisse continuer à nous admirer et nous défendre en cas de besoin, et pour qu’elle continue à avoir un repère, une référence. En particulier, en ne prenant pas la gravité de la situation comme prétexte pour déraper dans la xénophobie, instaurer la fermeture des frontières, cultiver l’égoïsme, ni pour donner le pouvoir à un parti extrémiste, lequel voudra, entre autres, essayer de convaincre le peuple de restaurer la décapitation – dont nos adversaires d’aujourd’hui font le plus vaste usage.

3. Enfin, en manifestant la même empathie pour les autres, quand les circonstances s’en présenteront. Pour les victimes d’attentats commis ailleurs, en commençant par la Russie, le Liban et le Mali. Mais aussi, plus largement, pour des victimes plus anonymes d’ennemis moins identifiables : les réfugiés qui se noient, les enfants qui meurent de faim – un toutes les sept secondes sur la planète – et tant d’autres. Plus utilement encore, pour ceux qui vivent ailleurs et qu’il nous appartient de recevoir au mieux quand ils viennent nous visiter et d’aider, dans les limites de nos moyens, à instaurer dans leur propre pays les conditions d’une bonne vie.

Nous devons aussi mieux comprendre ceux qui vivent tous les jours des drames équivalents à celui du 13 novembre à Paris, et sont tentés de venir se réfugier chez nous.

Merci, le Monde ! Nous ferons en sorte que vous ayez toujours envie d’être là quand nous aurons besoin de vous.

Et nous vous le rendrons.